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Cette heure, dites-vous ? (1/2) - Dominique B. - Nouvelle
ette heure, dites-vous ?
Dring ! Dring ! Dring ! « Quelle heure est-il pour qu'on m'appelle si tôt ? oh ! Sept heures !Benoît se leva lourdement et tituba vers le téléphone.
- Allo ?
- Monsieur Quentin, habitant rue de l'Abbesse, appartement 804 ?—
- Oui, c'est moi.
- Monsieur Spatio à l'appareil. C'est pour le poste que vous recherchez... Nous sommes la Société “Belgium”...
- Ah... oui...
- Nous avons retenu votre candidature et vous attendons à votre heure ; sept heures, ce soir, vous iraient ?—- Bien sûr monsieur, bien sûr !—
- Soyez ponctuel, c'est très important.—
- Pas de problème monsieur. À ce soir !
"Enfin" s'écria joyeusement Benoît en raccrochant. La question d'un rendez-vous d'embauche inhabituel en soirée ne l'effleura pas. Depuis des années qu'il vivait dans l'incertitude des travailleurs précaires, la chance survenait-elle enfin ?
"Oh ! Pas trop d'investissements, pas trop d'espoirs, non, tu as déjà été si déçu", se raisonna-t-il. "Fais attention mon gars ; calme-toi, prends un café et respire. Rien de tel pour avoir les idées claires ! Oui, calme vieux, calme !
Bon ! Comment bien me préparer ? Revoir mes CV, mémoriser mon parcours, simuler un entretien ?"
Fébrilement, Benoît nota toutes ses idées. Le Curriculum était déjà actualisé, il suffisait de l'adapter au poste, les dossiers étaient “nickel”, prêts à l'emploi. Plongé dans ses souvenirs professionnels, il réalisa soudain qu'une heure s'était écoulée.
"Whoo, le petit déjeuner !"Café, jus d'orange, tartines, Benoit mangea mécaniquement, sans appétit, la tête dans ses rêves. Un malaise, pourtant, s'installait, malgré la bonne nouvelle.
"Ben alors, ce n'est pourtant pas la première fois !" s'exclama-t-il
Rien à faire : l'étrange lourdeur persistait.
Il venait d'atteindre 34 ans. Orphelin, sa vie s'était déroulée dans une monotonie complète où seules, des études réussies dans l'informatique avaient un peu égaillé son quotidien. Rien : aucune valeur, aucun idéal ne lui avaient été inculqués hors quelques prières chrétiennes qu'il psalmodiait quand tout allait mal. Peu de connaissances, que son physique ingrat n'avait pas attirées, une conquête amoureuse inespérée dont il ne se souvenait plus de la rupture brutale, tous ces éléments semblaient constituer l'essentiel de la vie de Benoît : un instant, terne et sans but. On eût dit qu'une malédiction traînait derrière ses pas, à moins que ce ne fût un manque de confiance en son destin. Les deux dernières années de son existence l'avaient mené de contrats précaires en missions d'intérim, jusqu'à ce que, petit à petit, le chômage s'installe durablement... La lueur restante de son amour perdu donnait pourtant à son âme une raison d'espérer une vie nouvelle, joyeuse et intense.
Benoît s'habilla rapidement en prenant soin de bien choisir ses vêtements. Le calme lui revenait peu à peu. Au-dehors, le temps était splendide avec des rayons solaires inondant de chaleur."Bon augure" se dit-il. Sans vouloir donner prise à la superstition, il sentait ce jour différent : une date clé, fatidique. Pendant sa flânerie dans le parc, la sensation indéfinissable de malaise le reprit, plus forte que ses sentiments, ses espoirs, ses échecs mêmes. Une voix intérieure le surprit : "C'est trop tard Benoît, trop taaard... "
De gros nuages surgirent brusquement et les oiseaux cessèrent leur gazouillement. Le cœur serré, il appela Lisa, son ex-petite amie, qui avait toujours cru en lui malgré leur séparation."Je vais me détendre en marchant, se dit-il. Comme ça, je me mettrai en condition. Oui, c'est bon ça ! Ensuite j'irai voir les amis, je leur raconterai, et ils me “coacheront” !"
- Puis-je me rendre chez toi ce matin ? C'est urgent.
Le connaissant, elle ne posa pas de questions :
- Ne bouge pas, j'arrive,
répondit-elle.
L'espace et le temps prenaient une consistance comme élastique. Les passants ressemblaient soudain à des spectres transparents. Intrigué, il s'assit sur un banc et attendit Lisa, non sans angoisses.
Sa présence juvénile et joyeuse le rassura tout de suite. Après avoir écouté attentivement son histoire, la jeune femme proposa à Benoît de se reposer, ne penser à rien et d'emmagasiner de l'optimisme.
- Tu dois te changer les idées, c'est tout ; surtout ne pas te crisper devant des demandes imprévues, étonnantes peut-être ...
Elle prit un air étrange en lui disant :
- Tu comprendras ce qu'ils veulent de toi quand tu les verras. Moi aussi, j'ai vécu ces moments. Veux-tu que nous en parlions ?
- Mais j'ai l'esprit vide, reprit-il sans l'écouter, j'ai peur et je ne sais pas pourquoi.
- Allons, rappelle-toi tes bons souvenirs, tes succès, tes bonnes actions et tout ira bien ce soir. Je dois te quitter à présent, finit-elle par lui dire avec un regard furtif. Passe la journée, détendu et confiant ; à cinq heures, récupère tes documents à ton domicile, peigne-toi un peu et dès sept heures moins le quart : hop ! dans la salle d'attente de ton futur patron. Okay ?
- Okay Lisa. Merci, tu es un amour !
A suivre
Auteur : Dominique
Dessin naïf de Lenaïg
Tags : heure, benoit, toi, sans, bien
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Commentaires
1Lenaïg BoudigLundi 22 Mars 2010 à 10:47Répondre2dominiqueVendredi 6 Juillet 2012 à 08:56
Oui, les informations que je t'ai donnée sont encore autre chose que celles de ce récit ; heureusement...3dominiqueVendredi 6 Juillet 2012 à 08:564AnaëlleVendredi 6 Juillet 2012 à 08:565Mona lVendredi 6 Juillet 2012 à 08:56
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