• UNE OMBRE QUI PASSE - RAHAR

    Les nouvelles de RFI me réveillent à six heures pile. J’ouvre les yeux. Je bâille à me décrocher la mâchoire, puis pousse un grand soupir. Je m’étire comme un chat et repousse le drap rose. Je me frotte les yeux en me redressant, et rejette mes cheveux en arrière. J’entoure mes genoux de mes bras et jette un regard à la fenêtre. Je vois un pan de ciel bleu. Je bâille encore une fois et me lève enfin. J’ouvre la fenêtre et effectue quelques mouvements d’assouplissement devant elle, me délectant de l’air encore pur du matin. Puis j’enfile mon peignoir et mets mes sandales. Je m’astreins à faire mon lit en arrangeant les oreillers. Je sais que le lit est devenu bien trop grand pour moi, depuis la mort d’Armand, mais j’ai la flemme d’en prendre un plus petit.

    Je rejoins la cuisine et me verse un demi-verre de jus d’orange pour donner un coup de fouet à mon organisme. Je branche la cafetière et me prépare des œufs brouillés au bacon. Tout en dégustant mon petit-déjeuner, je réfléchis à ce que je vais faire de ma journée. J’ai reçu une invitation de Maryse pour lécher les vitrines d’un centre commercial qui vient d’ouvrir. À la septantaine, j’ai un corps bien conservé, grâce à mes origines asiatiques, et on me donnerait facilement dix ou quinze ans de moins, si on ignorait mes pattes d’oie, et je suis encore coquette. Ma pension et celle que m’a laissé ce cher Armand, ancien agent de renseignement mort en mission — on dit qu’un excellent agent n’est jamais en retraite — me permettent quelques fantaisies.

    UNE OMBRE QUI PASSE - RAHAR

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    http://www.eminza.com/linge-de-maison/housse-de-couette-240-cm-uni-bonbon.html

     

    Judith m’a aussi invité à déjeuner au nouveau restaurant en vogue. J’aurais voulu qu’elle nous accompagne, Maryse et moi, mais je sais qu’elle doit assister au vernissage de l’expo de l’une de ses nièces. Je n’ai pas été invitée, car sa nièce sait que je n’apprécie pas trop l’art dit moderne.

    Je réserve mon après-midi à l’écriture. J’avais constaté que mes petits-enfants adoraient mes histoires teintées d’exotisme, mais je n’étais pas souvent disponible pour eux. Mes enfants m’avaient donc proposé de coucher par écrit mes histoires, ce qui amènerait aussi leurs rejetons à aimer la lecture. J’avais trouvé l’idée excellente, et comme le mari d’Odette était éditeur, il ne m’avait pas été trop difficile de me faire publier. D’autre part, les droits que je perçois mettent un peu plus de beurre dans mes épinards.

    J’ai mis un chemisier lavande et un pantalon gris souris ; une écharpe de soie tabac complète ma tenue. J’ai noué mes cheveux en queue de cheval et pris des boucles d’oreille de jade. Je prends mon sac noir et sors rejoindre Maryse.

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    http://www.lessisrare.fr/bijoux/mode/boucle_d_oreilles-fonsi-634.html

     

    Je retrouve mon amie à la galerie marchande. Nous léchons consciencieusement les vitrines élégamment achalandées. J’étais en train d’examiner une robe de soirée, quand mes yeux sont attirés par un homme qui passait près des cabines d’essayage. J’ai eu un haut-le-cœur. Ce n’est pas possible !

    « Qu’y a-t-il, Minah ? Tu es toute pâle. »

    Je me nomme Min Ha, mais tout le monde m’appelle Minah et, lasse de vouloir corriger les gens, j’ai fini par m’en accommoder.

    « Non… Rien… Enfin, tu vas me trouver folle, mais j’ai cru voir Armand.

    — Quoi ? Mais enfin Minah, cela va faire un an qu’Armand est… parti. Je pensais que tu étais allée de l’avant.

    — Allons Maryse, tu crois que j’ai halluciné ? Je t’assure que j’ai fait mon deuil, je n’ai plus pensé à lui il y a longtemps. Mon inconscient ne devrait pas me jouer un tel tour.

    — Que tu crois ! Depuis quand nous connaissons-nous ? J’ai été témoin de votre amour, j’ai rarement vu une telle profondeur d’affection entre deux êtres. Cela doit laisser d’inaltérables traces. Alors, ne te voiles pas la face, personne… enfin, sauf peut-être les fakirs, personne ne maîtrise son inconscient… Oublions ça, allez viens, on continue. »

    J’ai retrouvé Odette à midi. Son papotage et la bonne chère m’ont fait oublier l’incident. Mais revenue chez moi, je suis désemparée, je repense aux évènements du matin. Je ne crois pas que ce fût une hallucination. J’ai vu l’homme… Armand, bousculer légèrement un autre homme et s’excuser. Une hallucination ne peut pas élaborer un détail pareil. J’ai de bons yeux, je SAIS que j’ai vu Armand. J’ai reconnu le blouson que je lui ai offert deux ans plus tôt, ainsi que son foulard fétiche qu’il ne met jamais en mission. J’ai aussi reconnu sa démarche.

    UNE OMBRE QUI PASSE - RAHAR

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Les passants de la rue Saint-Denis
    http://cengcorang.com/caf-67-strasbourg/

     

    Parmi les amis et relations, je ne connais pas de réducteur de tête. Mais j’ai besoin d’en parler à quelqu’un. Maryse n’est pas appropriée, par son scepticisme. Je ne vois que Bernadette, prof de philo à l’esprit très ouvert, qui m’a été bien souvent de bon conseil. Je l’appelle et lui demande si elle pouvait passer me voir après ses cours.

    Bernadette est une pétulante quinquagénaire un peu enveloppée, perpétuellement de bonne humeur, avec une énergie contagieuse, ce qui fait son charme. Nombre de ses élèves mâles tombent immanquablement amoureux d’elle, avec sa frimousse craquante.

    Je lui raconte l’incident du centre commercial. Je lui expose mes arguments en faveur d’une apparition réelle. Elle garde un moment de silence, comme si elle se recueille. Puis elle me sourit.

    « Nous devons envisager trois possibilités. D’abord, l’hallucination. Est-ce que ces temps-ci, y a-t-il eu quelque chose ou quelque incident qui aurait pu te faire penser à Armand ?

    — Ben non, je ne vois pas. La dernière fois où j’ai pensé à lui, c’était il y a plus de six mois, quand j’ai dû changer la roue crevée de la voiture.

    — Très bien, considérons le cas d’une manifestation paranormale. Comme tu le sais, j’en ai été témoin de certaines. Je connais aussi votre attachement profond. Peut-être voulait-il se rappeler à ton souvenir, te rassurer sur son sort, ou te réconforter.

    — Mais Bernadette, pourquoi près d’un an après son décès ? C’est… c’est irrationnel. Et puis si c’est pour me réconforter ou m’encourager dans quelque épreuve, je t’assure qu’en ce moment, je n’ai aucun problème, aucun souci, je vis bien et j’ai l’esprit serein... Enfin, j’avais.

    — C’est vrai, la dernière fois qu’on s’est vues, j’ai constaté que ta joie de vivre était communicative.

    — Tu as parlé de trois possibilités. Quelle est la troisième ?

    — Hum… Elle pourrait ne pas te plaire.

    — Dis quand même, je pense que je peux le supporter.

    — Tu m’as dit que ton mari était un agent des renseignements.

    — Armand était cryptologue et informaticien. Parfois, il accompagnait des agents de terrain.

    — Très bien. Supposons qu’il était tombé sur un cas exceptionnel qui a mis sa vie en danger. Ou peut-être même, mis VOS jours en danger. Il n’avait probablement eu d’autre solution que de disparaître, autant pour sa sécurité que pour la tienne… et pour ses enfants.

    — Ce n’est pas un peu tiré par les cheveux, ton hypothèse ?

    — Peut-être, mais il faut l’envisager.

    — Quelle est la plus plausible, à ton avis ?

    — Eh bien ma chère Minah, je n’en ai aucune idée.

    — Mais que me conseillerais-tu de faire alors ?

    — Écoute, tu as déjà fait son deuil. Si, et je dis bien si, il était encore vivant et qu’il ne t’a pas contacté, et que tu cherches après lui, tu pourrais vous mettre en danger.

    — Mais s’il y avait une autre femme ?

    — Qu’importe. Mais vous connaissant, je ne pense pas. Quoiqu’il en soit, je te conseille de continuer ta vie et de l’oublier. Tu te ferais du mauvais sang pour rien, et je n’aimerais pas que tu perdes ta belle sérénité.

    — Tu as peut-être raison, Bernadette.

    — J’AI raison, quel que soit le cas qu’on envisage. Comme je te l’ai dit, continue ta vie. »

     

    RAHAЯ

     

    http://www.dailymotion.com/video/x5tqea_nuages-en-accelere_creation


  • Commentaires

    1
    Jeudi 7 Mai 2015 à 00:57

    Bonjour tout le monde ici, en effet troublant de chez troublant, je penche aussi pour cette solution trois... cette veuve ne l'est peut-être pas tant que ça, à suivre...

    2
    victoria
    Jeudi 7 Mai 2015 à 04:59

    Y aura-t-il une suite ou le lecteur devra-t-il envisager une possibilité. J'hésite entre la 2e et la 3e. Un texte joliment conté en tout cas.

    3
    Jeudi 7 Mai 2015 à 07:24

    Oh oui qu'elle continue sa vie.... Il était tellement présent dans sa pensée son Armand qu'elle a cru le voir. Beau jeudi

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    4
    Jeudi 7 Mai 2015 à 11:05

    Bonjour mesdames, contentes que vous vous soyez aussi plongées dans l'histoire de Rahar. Il n'y aura pas de suite écrite, moi je comprends que cette histoire se classe dans le genre littéraire NOUVELLE au sens où c'est une tranche de vie (souvent une journée, comme ici) qui en fait est déterminante ne serait-ce que par ce qui semble un détail ... Une ombre soudain aperçue, qui brouille passé et présent et qui fait surgir une interrogation sans réponse ... Reste à affronter l'avenir avec ce doute et ne pas se laisser manger par lui ! Un mystère dans la vie de Minah comme nous en avons dans nos propres vies. Le conseil de l'amie psy me paraît judicieux : ne plus y penser dans sa vie quotidienne, faire comme si cela n'avait pas existé et ... qui sait wink2 ?

    5
    Jeudi 7 Mai 2015 à 12:34

    Info de dernière minute ! Rahar "écoute" ses lecteur(trice)s et surtout sa chère Victoria ! Moi j'étais satisfaite de cette belle nouvelle, mais il y a UNE SUITE, que Rahar vient d'écrire !

    happy

    6
    Jeudi 7 Mai 2015 à 16:17
    colettedc

    Moi, je crois que c'est seulement une impresssion, une ressemblance avec Armand ... alors, j'ai bien hâte de lire cette suite ... c'est tellement bien raconté !

    Bonne poursuite de ce jeudi !

    7
    Marie Louve
    Jeudi 7 Mai 2015 à 19:26

    Bon ! Pas de suite, on va devoir s'en inventer une. Je proteste énergiquement ! Le vide de suite est malsain pour nourrir l'esprit humain beurk. Je dois donc me faire une idée Claire ! Minah, dans son pantalon gris souris, coiffée d,une queue de cheval ne peut qu'avoir vu le minois de son défunt mari déguisé en fantôme. Donc, ainsi, j'obtiens deux possibilités... bon , je m'arrête. L'histoire appartient à Rahar. Je dis merci Rahar. money

    8
    Samedi 9 Mai 2015 à 11:47

    et oui la vie continue et on peut avoir un sosie

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