• Une enquête du commissaire Rizzoli - Chapitre 8 - Denis Costa

     

    Denis Costa - Photo 13

     

     

     

     

    Je suis furax Guido! s'enragea Farina, je viens une nouvelle fois de me faire verbaliser par la Stadtpolizei, c'est mon deuxième PV en quinze jours...

     

    Rizzoli ne parut pas surpris par les tribulations de son adjoint avec la police municipale de Bolzano. Lui-même avait déjà écopé de plusieurs amendes pour ce qu'il appelait des peccadilles.

     

    - Et que t-a reproché le flic municipal, cette fois-ci? s'amusa le commissaire.

     

    - Quel flic, Guido? Elles étaient deux... deux femmes sortant d'une fourgonnette flambant neuve, qui m'avait pris en chasse quelques minutes auparavant... J'ai cru à un simple contrôle d'identité, mais non... après avoir vérifié mes papiers, elles sont rentrées dans leur fourgonnette aux vitres fumées. J'ai poiroté un bon moment, et elles en sont finalement sorties... avec le petit papier vert, rédigé avec grand soin! J'ai vérifié... pas de vice de forme. L'une d'entre-elle m'a sermonné, comme si j'étais un gamin: « vous savez, c'est pas bien ce que vous avez fait là, on ne conduit pas ainsi... Quand on veut tourner via Palermo, il ne faut pas s'engager sur la voie de gauche, au dernier moment... » Du coup, j'ai écouté son sermon en baissant les yeux, comme un enfant pris en faute... C'était vraiment burlesque... N'empêche que payer trente-huit euro pour ne m'être pas engagé sur la file de gauche suffisamment tôt! Avoue, Guido, c'est du racket, non? Dire que pour une fois, j'avais mis mon clignotant...

     

    - Et le PV précédent, c'était pour quoi déjà? Ah, oui, je m'en souviens... tu n'avais pas renseigné correctement le disque horaire de stationnement. Le flic t'avait reproché de l'avoir sciemment avancé, c'est ça, non?

     

    - Oui, exact, un disque horaire publicitaire parfaitement imprécis... objectivement, je n'aurais pas pu le régler mieux. Quelle misère! pour une broutille pareille, j'ai dû casquer vingt-six euro!

     

    - Tu leur as précisé que t'étais flic... non pas de la ville, mais de l'État italien?

     

    - Bah, non! on n'est pas en Sicile ici... tu sais comme moi que cela n'aurait servi à rien! Si je l'avais mentionné, elles auraient trouvé ça, aussi outrageant que si je leur avais demandé un passe-droit pour partir en retraite anticipée... Je ne leur ai pas précisé non plus que j'étais de Palerme, par crainte d'aggraver mon cas!

     

    - C'est vrai que de se faire verbaliser via Palermo, lorsque l'on est palermitain, c'est pas banal! En tout cas, c'est le prix à payer ici, la règle du jeu si tu préfères, poursuivit Rizzoli. La ville est tranquille, parce que c'est tolérance zéro à tous les niveaux, ou pratiquement. C'est un peu étouffant, j'en conviens, surtout lorsque l'on arrive de Milan ou du profond sud, mais on s'habitue!

     

    - Sûr que dans le Haut-Adige, on est loin du Far West, comme en Sicile, ou bien à Naples: là-bas, lorsque tu sors acheter un kilo de riz à l'épicerie du coin, pan! un type que tu ne connais pas, te fait sauter la cervelle... Balle perdue, comme disent les journalistes!

     

    - Dommage collatéral de la mafia, précisent les experts! A Naples, tu sais, j'ai bien peur que ce soit plutôt un kilo de cocaïne que certains vont acheter à l'épicerie du coin... Pour te consoler, Salvatore, demandes-toi un peu combien de contraventions tu as évité pour des entorses au code de la route, réellement commises et bien plus sérieuses, comme des excès de vitesse, si tu vois ce que je veux dire...

     

    - T'inquiète, Guido, c'est déjà ce que je me dis lorsque j'ai la rage contre ces fonctionnaires qui ne font pas la part des choses... Remarque, on en arrive à la conclusion de tout à l'heure... Si deux flics en fourgonnette me font la chasse pour une babiole, c'est qu'ils se cherchent du travail... et que la petite délinquance et autres incivilités doivent se faire bien rares dans cette ville!

     

    Le vice-questeur Walshofer apparut soudain dans le bureau du commissaire. Il sembla plus déconcerté de surprendre l'hilarité des deux hommes, que les deux hommes de tomber nez à nez sur lui. Il faut dire que Walshofer avait pris l'habitude d'entrer dans le bureau de ses subordonnés sans frapper préalablement à leur porte. Le grand chef devait sans doute avoir ses raisons, des raisons que Rizzoli n'avait jamais cherché à connaître, ou à approfondir... Un grand chef n'a pas de temps à perdre, se disait-il simplement avec ironie, et il est vrai que frapper à une porte, attendre la réponse, puis actionner la poignée, constituent un gaspillage d'énergie phénoménal...

     

    - Eh bien, messieurs, je suis heureux de constater que l'on plaisante à la criminelle! C'est le happy end qui solde la réunion de tout à l'heure? J'ai vu votre staff s'éparpiller dans les couloirs, commissaire...

     

    - C'est un honneur de vous avoir dans mon bureau, vice-questeur... Nous devisions, pour parler savamment, sur l'utilité du travail de nos collègues de la Stadpolizei, et avec Farina, ça nous a mis en joie!

     

    - J'aurais bien aimé partager votre joie, mais je vois mal en quoi nos collègues municipaux m'inciteraient à sourire... Je vous avouerais que parfois, ils m'agacent avec leur pointillisme... et leur triomphalisme. Comme s'ils étaient à eux seuls responsables de la relative quiétude qui règne à Bolzano. Certaines villes du sud font mieux que nous en matière de sécurité, d'après l'enquête du quotidien il sole 24 ore... Il n'y a donc pas de quoi pavoiser... Dites-moi plutôt, commissaire, comment s'est passée votre réunion?

     

    - Installez-vous là, monsieur... vous avez le temps? demanda Rizzoli, en offrant au vice-questeur, l'unique fauteuil de la table conférence… Farina, désolé, mais il faut que tu te retournes à Lana sans moi. Il n'y a pas une seconde à perdre... prends Gasser avec toi, et surtout, fais le méchant avec Matteo!

     

     

    - Je vois commissaire, que vous avez adopté la technique de l'interrogatoire, privilégiant la répartition des rôles, le méchant flic et le gentil... Qui fait le gentil?

     

    - Oui, technique classique mais efficace. En général, on s'alterne, mais vous me connaissez, monsieur, j'ai souvent tendance à faire le gentil. Je mets les suspects en confiance, et surtout face à leurs responsabilités.

     

    Farina quitta la pièce, le sourire aux lèvres. Ciao! lança-t-il à Rizzoli, tout en lui décrochant un clin d'œil complice.

     

    - Pour être franc avec vous, monsieur, j'ai bien peur que l'enquête ne doive repartir de zéro. Il existe bien un faisceau d'indices à l'encontre du jeune Matteo, mais... y a plein de petites choses qui ne collent pas... Il est clair pour moi, que les deux jeunes ne se sont pas rendus ensemble sur les berges de l'Adige. Sinon, pourquoi aurait-on retrouvé la bicyclette de Lisa du côté de la chapelle de Santa Agatha à cinq kilomètres des bords du fleuve? Je n'imagine pas Matteo ramener le vélo jusque-là, tout en pédalant sur le sien... C'est vraiment acrobatique et quelqu'un l'aurait forcément remarqué! Et puis, si les choses s'étaient passées ainsi, alors là, il aurait été matériellement impossible pour lui de rejoindre ses copains à Merano à l'heure où ils ont été vus... Nous pensons également que Matteo était sincèrement épris de Lisa, ce qui n'était pas le cas avec ses autres aventures...

     

    - Possible, rétorqua Walshofer, mais l'amour n'a jamais empêché les crimes passionnels? au contraire, ça les génère...

     

    - C'est exact, acquiesça Rizzoli avec un sourire qui dissimulait mal son scepticisme. C'est pourquoi, nous vérifions actuellement, ce que le gamin connaissait exactement de la grossesse de Lisa. Il ment par omission ce Matteo, et ça m'énerve!

     

     

    - Je venais justement vous apporter le rapport de la police scientifique. Il était ce matin sur mon bureau.

     

    - Ah? leurs services m'avaient déjà contacté par téléphone... des éléments plus probants?

     

    - Ils ont trouvé peu de choses sur place. Les traces d'empreinte au sol sont peu lisibles sur les cailloux, en revanche, sur la partie meuble, les quelques bandes sablonneuses proches de l'eau, on trouve des empreintes de pas mêlés. Ils ont identifié les bottes du pêcheur, notamment. Malheureusement, Lisa et son tueur n'ont pas piétiné à cet endroit-là semble-t-il, pas de trace de bottines... Deux mégots de cigarette, un chiffon, quelques lambeaux de papier dégradés par le temps, datant par conséquent d'avant le crime...

     

    - Ce qui est bien ici, c'est que les gens ne laissent pas traîner leurs détritus, comme c'est trop souvent le cas hélas dans le reste du pays, ça facilite grandement la tâche de la police, ne croyez-vous pas?

     

    La remarque du commissaire sembla amuser le vice-questeur.

     

    - C'est notre côté germanique qui vous fait défaut... et que vos semblables par ailleurs nous envient, n'est-ce pas Rizzoli?

     

    Walshofer avait interpelé le commissaire par son nom de famille, ce qui était suffisamment rare, pour que son interlocuteur ne le considère pas comme un hasard.

     

    - Vous connaissez mon opinion là-dessus, monsieur... Chaque communauté s'enrichit des défauts et qualités de l'autre, sans ignorer la minorité ladine, troisième entité de notre belle province. Cependant, je ne renoncerai jamais au tricolore, ni à l'unité de mon pays... Puissent tous ici, penser la même chose!

     

    Le vice-questeur soupira, avant d'exprimer son avis. Un avis volontairement consensuel, susceptible de ne pas déchaîner les foudres du politiquement correct.

     

    - Comme vous, je regrette cette polémique stérile sur le bas-relief Piffrader... De même, l'absence en mars dernier à Rome, du gouverneur pour les festivités en l'honneur des 150 ans de l'unité du pays... Pas très habile... mais je comprends sa décision, sans la partager toutefois... Ces d'incidents, ajoutés à une kyrielle de bisbilles de même acabit, ont sérieusement ébranlé la confiance entre les communautés. Dites-moi commissaire, quelle direction comptez-vous prendre dans notre affaire?

     

    Ce fut au tour du commissaire de soupirer.

     

    - On n'a pas trop le choix. On continue à travailler le gamin... et en parallèle... Si l'on disculpe Matteo, c'est qu'il y a forcément une tierce personne dans cette affaire... un homme. Or, cet inconnu ne l'était manifestement pas pour Lisa qui l'a accompagné sur le bord du fleuve... Mais qu'est-ce qui lui a donc pris à cette fille? Et puis cette orange, avalée juste avant de mourir, étrange, non?

     

    - L'orange? je comprends... Ça m'a également interpelé lorsque j'ai lu le rapport d'autopsie... En tout cas, cela montre que Lisa était tout à fait en confiance avec son meurtrier...

     

    - Monsieur le vice-questeur, il faut absolument recontacter la médecin Gruber, il doit bien y avoir l'ADN d'un autre homme qui se cache quelque part sur le cadavre de la petite!

     

     

    Lexique :

    Stadtpolizei: la police municipale.

    Tricolore: terme qui désigne le drapeau italien, vert, blanc, rouge.

     

     

    Denis Costa,

    Texte et photo

     

     

     


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  • Commentaires

    1
    Mercredi 22 Juin 2011 à 23:09
    Lenaïg Boudig

    La Belle au bois dormant avait croqué la pomme de sa vilaine sorcière de marraine, ici Lisa a mangé une orange, entourée de vergers de pommes ... Je commence à avoir une idée, mais je ne dirai rien ... Et ambiance toujours, on s'aperçoit que les carabinieri font du chiffre aussi, comme en France !

    2
    Jeudi 23 Juin 2011 à 07:00
    Reinette

    bonne journée

    3
    Jeudi 23 Juin 2011 à 09:09
    jill-bill.over-blog.

    Bonjour Lenaïg, bonjour Denis... Les PV ah les PV font rentrer facile les zeuros dans les caisses comme partout... je suis l'affaire, les discussions entre policiers... L'orange et l'inconnu... je ne sais !  Bonne journée à vous... Bizzzzzzzz JB

    4
    Jeudi 23 Juin 2011 à 17:20
    Pierre

    C'est la pèriode des cerises, j'adore tenir l'échelle !

    5
    Vendredi 24 Juin 2011 à 13:59
    Lenaïg Boudig

    Bonne journée, Denis, bonne journée, les lecteurs ! Le chapitre 9 est programmé pour ce soir 18 h 00 !

    6
    Lundi 27 Juin 2011 à 21:57
    Marie Louve

    Quoi ? le flic Guido avait traficotté le disque horaire de stationnement ! Pas le jour du meurtre quand même ? Dire que je rêvais de vivre trois mois en Sicile, à Milan ou à Palerme ! Je ferais mieux d,aller à Saint-Pierre de Rome pour ma confession avant de réaliser ce rêve. ;-))) bisous.

    7
    Denis
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:43
    Denis

    Dis-nous tous au contraire, Hélène, quelle est ton idée?? Bises.

    8
    Denis
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:43
    Denis

    Pomme de rainette et pomme d'api, tapis, tapis rouge, pomme de rainette et pomme d'api, tapis, tapis gris... Merci Rainette, bonjour à toi!

    9
    Denis
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:43
    Denis

    Cette statue, Hélène, égaye le magnifique jardin botanique de Merano, dont le nom (allemand) est absolument imprononçable. Du coup, beaucoup ici, le nomme, "jardin de la princesse Sissi" qui a fortement marqué la ville. Elle y séjournait régulièrement. C'est un coup d'oeil biblique, Eve est montée sur les épaules d'Adam pour pouvoir cueillir plus facilement la pomme. Quant on sait que les pommiers s'étendent ici sur des centaines d'hectares... Tout est une question de pommes!

    10
    Denis
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:43
    Denis

    Exact Hélène, tu es sur la bonne piste! Marie-Louve l'était aussi, sur l'un de ses commentaires antérieurs. Pazienza amici!

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    11
    Denis
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:43
    Denis

    Et bien, moi, Pierre, je préfère goûter au fruit défendu, hahaha... Bonne journée!

    12
    Mona de plumes au v
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:43
    Mona  de plumes au v

    Je vois que ce n'est pas comme en Belgique! Mais le pauvre Mattéo n'est pas sorti d'affaire encore, je vois! :))

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