• Une enquête du commissaire Rizzoli - Chapitre 13-2 - Denis Costa

    Denis Costa - Photo 19

      

     

     

    Frau Gruber reprit l'ensemble de ses observations, phrase après phrase, de façon didactique, en débrouillant les termes scientifiques les plus obscurs, même pour un commissaire aguerri. Rizzoli fut très attentif au discours de la légiste, à seule fin de dénicher, ne serait-ce que la plus petite parcelle d'indice susceptible de confondre un deuxième suspect, sous les traits de Don Roberto Moser, un homme au visage carré et au regard froid et déterminé, presque dérangeant. Tout en écoutant l'exposé d'Anna Gruber, le commissaire admit avoir été mal à l'aise ce matin, en présence du prélat. Mais ce n'est qu'à l'instant même, plusieurs heures après la rencontre, qu'il venait de s'en expliquer les raisons.

    Rizzoli trouva le rapport de la légiste particulièrement fouillé, mais il conclut bien vite, désappointé, qu'il n'apportait aucun élément novateur, sur les circonstances du meurtre de la petite Lisa.

    Le commissaire, le nez dans les procès-verbaux, ne vit pas arriver les inspecteurs Gasser et Farina.

     

    -Sympathique comme endroit, lança Farina, le commissaire nous a déniché une table dans une ambiance typique, particulièrement romantique!

     

    - Ja, klar! c'est charmant tous ces vitraux allégoriques, j'espère que le menu sera à la hauteur du cadre, renchérit Gasser.

     

     

    Le commissaire remarqua que ses deux inspecteurs avaient retiré cravate et veston pour venir déjeuner. Il approuva ce choix et en attribua l'initiative à la décontraction spontanée de Farina, qui entraînait son jeune collègue dans la juste direction.

     

    - Frau Gruber, excusez leur tenue, s'amusa-t-il, ils se croient déjà en week-end! Prego, prenez place chers collègues! poursuivit le commissaire en les invitant à s'asseoir.

     

    Les deux hommes s'installèrent après avoir tendu une poigne virile à Anna Gruber, qui répondit par une main aussi décidée que son sourire.

     

    - Vous avez une équipe formidable, commissaire! s'exclama le docteur, en rangeant les documents dans sa serviette, mais je suis certaine que vos inspecteurs ignorent tout du prestige historique et culturel de cet établissement. Il n'est pas simplement charmant et romantique. Ici, se sont succédés des princes, des intellectuels et des artistes. Se sont assis, peut-être sur à votre place, Monsieur Farina, ou bien à la vôtre, Monsieur Gasser, le médecin psychanalyste Sigmud Freud, et aussi, qui sait? le célèbre peintre autrichien Albin Egger-Lienz... autrichien, du moins de naissance, car il est mort italien, suite à l'annexion de notre belle province par la Monarchie de Savoie...

     

    Devant la mine dubitative des deux inspecteurs, la légiste s'engagea dans un long exposé sur la vie et l'œuvre du peintre. Rizzoli se dit que devant la narration de haute tenue du docteur, il serait mal venu de lui demander la destination originelle du broc en fer blanc qui trônait à l'entrée du restaurant.

    Les convives finirent par commander les plats, et la conversation se recentra sur le meurtre de la petite Lisa.

     

    - Nulle part dans votre rapport, docteur, n'apparaît le moindre petit épisode de violence, hormis bien sûr, la strangulation fatale. On ne tue pas comme ça, tout de même, sans signes avant-coureurs, sans lutte, sans que la victime ne se défende un tant soi peu? s'étonna le commissaire.

     

    - C'est ainsi pourtant, répondit la légiste d'un ton ferme. La seule égratignure que la petite s'est faite dans les instants qui précédèrent sa mort, je l'ai constatée au niveau de sa cheville droite, sur le côté. Je pourrais me concentrer sur cette légère blessure, si vous le désirez, et en chercher la nature exacte... Mais ce sera sans doute un objet sur lequel elle se serait frottée, ou qu'elle aurait heurté avec sa cheville, car je n'ai trouvé ni ADN étranger, ni trace de tissus humains à ce niveau... Comme je l'ai précisé tout à l'heure, je le dis pour vos inspecteurs, commissaire, on peut même déterminer avec précision, que le dernier rapport sexuel de la petite, n'avait rien d'un viol. Dans le cas contraire, on aurait trouvé dans le sperme du garçon, des enzymes particulières à un niveau très concentré, des enzymes prostatiques, les phosphatases acides.

     

    Gasser ne put contenir une moue d'aversion.

    - Et... et au niveau des ongles? s'enhardit-il, je ne sais pas, moi, des poils, des cheveux?

     

    - Quelques particules de terre et des traces infimes d'herbe sous les ongles, répondit le docteur Gruber... Quant aux poils, deux exemplaires longs et épais, enroulés sur eux-mêmes, laissés par Matteo, vraisemblablement pendant l'amour, sourit la légiste... Je peux même vous préciser que l'analyse de poils de l'un et de l'autre, révèle que ces jeunes ne fumaient pas de cannabis, et qu'aucun des deux n'avait pris récemment de médicaments. Lisa n'a pas été droguée, par exemple, pas de trace de somnifère, et autre sédatif pouvant expliquer, disons... une certaine passivité...

     

    - Pas d'empreintes, non plus, docteur? poursuivit Farina.

     

    - Aucune, inspecteur, désolé. Le meurtrier portait des gants, c'est en tout cas ce que révèlent les analyses sur le cou de la victime... des gants probablement en cuir, comme ceux que portent les motards. Mais j'avoue n'être jamais montée sur ces grosses machines, souligna-t-elle, en moulinant les bras devant son visage.

     

    Rizzoli hocha la tête et se pinça la lèvre inférieure, comme pour signifier qu'il se plongeait dans de profondes réflexions...

     

    - Des gants... médita le commissaire... Je ne vous cacherais pas docteur, que nous sommes sur la trace d'un deuxième suspect possible, un homme, lui-aussi, précisa le commissaire, vos analyses pourraient-elles nous aider? Comprenez-moi, j'ai besoin de preuves, d'indices même minimes pour pouvoir me lancer, avec plus de conviction, sur la piste de cet homme...

     

    Anna Gasser resta un moment à cogiter, le menton appuyé sur la paume de sa main. Elle releva finalement la tête en fixant le commissaire, droit dans les yeux.

     

    - Oui, je sais, commissaire, le vice-questeur me l'a rappelée par deux fois déjà... Désolé, mais pour l'ADN, il n'y en a qu'un... mais j'ai promis de retravailler là-dessus, ajouta Frau Gruber, et je le ferai, soyez sans crainte! En revanche... je vais poursuivre des analyses chimiques complémentaires sur le short que portait Lisa, sur son sweat aussi, et sur ses sous-vêtements... Peut-être trouverais-je autre chose que les traces d'herbe déjà décelées... Je m'y mets dès ce week-end, exceptionnellement pour vous, commissaire!

     

    Les Spätzle aux épinards, le plat principal commandé par les hommes, succédèrent bientôt à l'antipasti, composé de canederli en bouillon, tandis que Frau Gruber s'était contentée d'un plat unique, le copieux Gröstl, assortiment de viandes et de charcuteries locales, accompagnées de pommes frites, le tout, servi dans une petite poêle en fer forgé. Les couverts comme les mandibules s'entrechoquèrent dans la bonne humeur, malgré la longue litanie des indices rapportés aux faits, rabâchés par les policiers, en quête d'éléments qui auraient pu éventuellement échapper à leur sagacité.

    Le repas s'acheva sur une tasse de café fort, dont Rizzoli, comme à son habitude, fit tourner le fond à toute vitesse, afin d'avaler les dernières gouttes avec les cristaux de sucre.

     

    - Notre repas commun fut très agréable, Madame, conclut le commissaire, agréable, utile et instructif, précisa-t-il. J'espère qu'il en fut de même pour vous... On remettra cela une autre fois, si vous le souhaitez...

     

    Anna Gruber se perdit en remerciements, devant la mine amusée des inspecteurs, puis, elle quitta l'établissement, suivie des trois policiers qui réglèrent l'addition à la romaine.

     

    - Ne vous l'avais-je pas dit qu'il était important d'entretenir des relations amicales avec sa légiste? répéta Rizzoli, tout guilleret, alors que le petit groupe se dirigeait vers la sortie. Mon archiviste s'est arrangé pour accéder aux dossiers de la Curie romaine, des dossiers sur le personnel, équivalents à ceux que nous détenons dans la police, bien que nous nous intéressions moins à la vie privée de nos salariés que l'Église, apparemment. Je sais tout ou presque sur Don Roberto Moser, sauf un détail à éclaircir... possède-t-il une moto, par hasard cet ecclésiastique? conclut-il, le sourire carnassier aux lèvres, prêt à relever un nouveau défi.

     

    ***   

     

    Ja, klar!: oui, c'est clair! (en allemand).

    Spätzle: préparation culinaire de pâtes molles et cassantes, dans les régions germaniques.

    Antipasti: entrée ou hors-d'œuvre, dans les menus italiens.

    Canederli ou Knödel, en allemand: boulettes à base de pain, lait, œuf, speck, oignons et persil, servies en sauce ou dans le bouillon.

    Régler l'addition à la romaine: chacun paie sa part à concurrence de ce qu'il a commandé.

     

     

    ***

     

     

    Denis Costa,

    Texte et photo

     

     

      

     


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  • Commentaires

    1
    Samedi 2 Juillet 2011 à 21:01
    Monelle

    Bonsoir Léna, sitôt reçu, sitôt lu ! ce petit passage n'apporte pas grand chose sauf peut être les gants de cuir....

    Je te souhaite une bonne soirée et un bon dimanche - gros bisous

    2
    Samedi 2 Juillet 2011 à 21:36
    jill-bill.over-blog.

    Bonsoir Lenaïg, bonsoir Denis...  Au cour de ce repas, l'hypothèse des gants en cuir... pour tuer sa victime... comme ceux des motard, le religieux l'est-il ?   A la prochaine en saurons-nous plus.... Bonne nuit à vous !  Bizzz  Jill

    3
    Mardi 5 Juillet 2011 à 02:29
    Marie Louve

    J'ai appris comment payer à la romaine ! Une manière équitable pour tous. Et je cherche le propriétaire des gants de motards qui traîne des oranges avec lui. Le curé ? Trop facile à pointer. Je chercherais du côté des agents qui surveillent les infractions au code routier et au autres règlements municipaux. L'auteur a parlé d'eux en précisant qu'ils ne laissaient rien passer sous silence. Le jour du meurtre, un autre ami que Matteo ou un proche de Lisa ??? a assassiné la gamine. Les policiers travaillent'ils en moto ? Quelle impatiente, je fais :-))) ! Bizes.

    4
    denis
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:43
    denis

    Chers lecteurs, NE PAS LIRE CET EXTRAIT! il y a eu inversion. C'est la 2° partie du 13° épisode, Lena rectifiera, je pense. Bises!

    5
    Mona de plumes au v
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:43
    Mona  de plumes au v

    Ben euh j'ai déjà lu... et je trouvais que pour un repas c'était un drôle de sujet de conversation, du genre à vous couper l'appétît. légiste  quel métier!

    6
    denis
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:43
    denis

    Patience, patience, Marie-Louve... Un épisode et puis s'en va... Le 14° est dans les tuyaux, et la suite et fin en septembre! Bises à tous!

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