• PUB À GOGO - RAHAR - 1ère partie

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    « Rien ne lave plus blanc que Nèj. Ses enzymes sont les plus gloutons. Obtenez 20% de lessive en plus en achetant Nèj. »

    Le slogan tonitrué par le haut-parleur d’un camion me réveille désagréablement en sursaut. On n’a pas idée d’importuner les gens à cette heure matinale. Vanessa n’a pas bougé. Heureuse femme ; il est vrai que la cinquantaine l’a rendu un peu dure d’oreille. Je me lève en maugréant. D’habitude, c’est le cœur joyeux que je vais préparer le p’tit déj.


    Depuis que j’ai eu un litige avec Brikol au sujet d’un brevet, j’ai claqué la porte et me suis mis à mon compte, je suis devenu un chercheur indépendant. Mes brevets ont contribué à faire bouillir la marmite et nous ont même permis de mener un train de vie plus que décent. Je suis actuellement en train de mettre au point un nouveau moteur magnétique à implosion. Pour l’achever, il me faut acquérir un magnécéram catalytique.


    Vanessa est déjà partie gérer sa petite entreprise, elle m’a dit qu’elle doit présider une réunion. Je dois aller à pieds au magasin. Nous n’avons qu’une seule voiture, puisque je ne sors pratiquement plus : je me fais livrer le matériel dont j’ai besoin. Je ne me déplace que quand une pièce n’est portée sur aucun catalogue commercial, comme dans le cas présent.


    Un grand panneau publicitaire attire immédiatement mon attention. On y voit une pin-up aussi ravissante que dénudée. Elle tient une boîte de Nèj et et en train de verser de la lessive dans une cuvette ornée de cristaux de neige d’une blancheur éblouissante. Je ne peux m’empêcher de me demander l’impression des gens à la vue de cette affiche. Je suppose que les mâles ne verront que la séduisante créature et la détacheront du contexte de la pub. Quant à la gent féminine, l’image rafraîchissante de la starlette pourrait l’inciter à s’identifier inconsciemment à celle-ci. Je ne suis pas un psychologue, c’est juste une pensée dérivative qui me permet de me déstresser, le moteur m’a tellement absorbé ces temps-ci.


    Arrivé au magasin, je vois encore un autre panneau géant. On y voit un apollon en train de laver son tee-shirt, une boîte de Nèj à côté de son bac. Les publicistes ont de ces idées, je vous jure. En secouant la tête, j’effectue mon emplette. J’ai eu du pot : il n’y avait qu’un seul magnécéram catalytique.


    Je retourne chez moi, la précieuse pièce dans un sachet et le journal du jour, c’est-à-dire le 20 Janvier, sous le bras. Je dois suivre les actualités financières pour mon boulot ; mais je ne néglige pas pour autant les gros titres. Je vois ainsi qu’un grand groupe pharmaceutique vient de prendre en charge une cinquantaine de comateux profond. Je suppose que cette boîte ne fait pas dans le bénévolat, elle doit escompter un intérêt quelconque dans l’opération, c’est obligé. Elle doit peut-être expérimenter quelques nouveaux médocs ou autres traitements. Je me demande ce qu’en a pensé le comité d’éthique… à moins qu’il ait été acheté, qui sait.


    Je suis en train de mettre la touche finale à mon moteur, quand Vanessa rentre, et à ma surprise, une boîte de Nèj parmi les provisions qu’elle a achetées. Je me demande bien ce qui l’a motivée, d’ordinaire elle n’est pas si influençable que ça. Enfin, je suppose qu’il est normal d’essayer un nouveau truc, juste pour voir. Je hausse les épaules et je reviens à mon moteur.

    Je contrôle une dernière fois mon montage et j’appuie sur le bouton de démarr…

     

    « Vous voulez éviter le coup de pompe de dix heures ? Prenez un petit-déjeuner consistant et nutritif, prenez du Bonap, les céréales au miel enrichis en vitamines. »


    Le slogan tonitrué par le haut-parleur d’un camion me réveille désagréablement en sursaut. On n’a pas idée d’importuner les gens à cette heure matinale. Vanessa n’a pas bougé. Heureuse femme ; il est vrai que la cinquantaine l’a rendu un peu dure d’oreille. Je me lève en maugréant. D’habitude, c’est le cœur joyeux que je vais préparer le p’tit déj.


    Je suis mal réveillé. Tout en me rasant, j’essaie de rassembler des bribes fuyantes de mes souvenirs d’hier. Je sens qu’il y a quelque chose d’insolite. En particulier, je me demande si le moteur a bien fonctionné.

    — Jimmy, ne devais-tu pas acheter une pièce pour ton moteur ? Je pourrais te déposer au magasin, c’est sur mon chemin.

    — Mais Vanessa, je l’ai déjà acheté hier.

    — Voyons Jimmy, serais-tu déjà gâteux ? Hier tu m’as dit qu’il te manque une pièce pour achever ton moteur. Moi, j’ai encore toute ma mémoire, sacrebleu !

    — Mais…

    — Oh, et puis je n’ai pas le temps de discuter, j’ai une réunion à préparer.

    — Ce n’était pas hier que tu as eu ta réunion ?

    — Jimmy, dis-moi si tu es malade… D’ailleurs tu sembles mal réveillé. Tu as de la fièvre ?

    — Mais non, je crois que j’ai mal dormi, c’est tout. Va à ton boulot.


    Après avoir un peu hésité, Vanessa se résout à partir. Je me verse un petit verre de whisky pour remettre mes idées en place. Je cherche tous les prétextes pour retarder mon entrée dans l’atelier. Serais-je devenu fou ? Je termine mon scotch et me résous à en avoir le cœur net.


    Je reste debout sur le seuil, l’esprit vide : le moteur tournait, le magnécéram catalytique est à sa place. Donc je ne suis pas fou. Mais pourquoi ne l’ai-je pas éteint hier ? Et je ne me rappelle pas avoir rejoint mon lit. Je quitte précipitamment l’atelier. Je m’habille en hâte et sors. À première vue, rien d’insolite. Un grand panneau d’affichage attire mon regard. Une famille à la mine réjouie prend son petit-déjeuner ; une boîte de Bonap trône sur la table. J’entre dans le magasin de pièces.


    — Avez-vous un magnécéram catalytique ?

    — Un magné… Ah oui, je crois que j’en ai un, attendez je vais voir.

    Je pianote nerveusement sur le comptoir, tandis que le type va à l’arrière-boutique.

    — Eh bien non, m’sieur. Il n’y en a pas. Pourtant j’aurais juré que j’en avais un.

    — Tant pis, merci quand même.


    En sortant, je fais face à un panneau géant. Un Çiva au sourire faux tient une boîte de Bonap au bout de chacun de ses six bras. Chaque boîte affiche une vitamine allant du B1 au PP, sans passer toutefois par le A4 ni le B29. Donc j’ai déjà acheté le seul magnécéram catalytique hier. Je ne suis pas fou, c’est déjà ça de gagné. Mais cette situation a de quoi devenir dingue. Je me rue sur le journal. Je regarde la date. 20 janvier. Parmi les gros titres, un grand groupe pharmaceutique vient de prendre en charge une cinquantaine de comateux profond. Hier, la cote d’une société qui utilise un de mes brevets a gagné trois points. Je vérifie la page financière. Et mes cheveux se dressent sur ma tête : trois points. J’arrête quelques personnes et leur demande le quantième. La plupart me répondent, mais me regardent d’un drôle d’air. On est le 20 janvier, évidemment.

    Je ne suis pas un parano conspirationniste, mais il se passe des choses pour le moins louches, ici. Ou bien j’ai des dons de prémonition, ou bien le Gouvernement procède à des expériences secrètes. Mais non ! Je ne suis pas devenu devin : le magnécéram catalytique est une preuve matérielle.


    Je me hâte de rentrer. Je considère avec circonspection le moteur. Et si c’était lui le coupable ? Se pourrait-il que la composante magnétique du moteur soit capable de figer le temps et d’en faire une boucle ? Que je suis bête, si c’était le cas, pourquoi les autres sont-ils affectés et pas moi ? En tout cas, mes appareils montrent que le rendement de ce moteur est extraordinaire et dépasse même toutes mes espérances. Je m’attelle fébrilement à la rédaction de sa documentation détaillée, je sens qu’il va bouleverser l’économie et la vie des gens.


    Je n’ai pas entendu Vanessa rentrer, mais j’ai tout de suite remarqué la boîte de Bonap parmi les provisions étalées sur la table, quand j’ai voulu me verser un verre de whisky. Je préfère les bonnes vieilles tartines beurrées avec de la confiture, mais si elle veut goûter aux céréales, c’est son affaire. Je retourne à mon atelier, je vais faire subir d’autres tests à mon moteur avant d’en déposer le brevet. Je règle mes appareils et je démarre l’engin. Curieuse coïncidence, c’est pratiquement à cette même heure que je l’ai démarré hier. Enfin, il ronronne à la perfec…

     

     

    A suivre

     

     

    RAHAR

     

     

     

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    Illustrations : horloges et automates

    Prague, www.ens-lyon.fr

    Paris, Quartier de l'horloge (en panne !), www.paris-en-photos.fr



     


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 29 Janvier 2012 à 22:06
    jill bill

    Bonjour Rahar, Lenaïg... Oui il se passe des choses louches dans ce début d'histoire !  Est-ce le whisky ou la pub à gogo qui rend zinzin...  Et puis cet engin... patientons la suite de cette affaire mystérieuse... Bonne nuit Lena, bizzzz jill  

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    2
    Lundi 30 Janvier 2012 à 17:17
    Monelle

    La télé rend fou, ça on le sait, mais la publicité c'est nouveau... que va-t'il lui arriver ?

    Et c'est reparti pour le suspens !!!

    Bonne soirée - gros bisous

                              Monelle

    3
    Mardi 31 Janvier 2012 à 20:42
    Marie-Louve

    Y'a de quoi perdre la tête avec ces lessivages plus blanc que neige ! Foi de Québécoise enneigée en ce premier février. Mêler le whisky et le scotch semble rendre le coeur net, mais ne buvant pas de ces petites fées pas vertes, j'ignore le résultat sur les perceptions. :-)) Comme toujours, j'adore lire notre savant Rahar. Bises.

    4
    Mercredi 1er Février 2012 à 12:26
    Lenaïg Boudig

    Bien l'bonjour, M'sieur Rahar !

    On doit être en train de lire ta Pub à gogo 2ème partie car je n'ai pas la main pour y poser un p'tit comm, hé hé ! Alors je te copie ici ce que j'ai mis pour accompagner le lien sur facebook :

    Du fantastique qui rappelle des thèmes abordés au cinéma et surtout dans les romans, mais qui porte la patte de Rahar ! Les noms des personnages, quand on y fait attention, sont autant de clins d'oeil qui, me semble-t-il, dédramatisent tout ! Cette façon légère qu'à Rahar de souligner les travers de notre monde sans en avoir l'air n'appartient qu'à lui aussi.

    Bizzz, Christian !

    5
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:37
    Mona															l

    Une ambance qui en effet me rappelle un film! Que je n'ai pas vu d'ailleurs, donc je crois que je vais laisser Lena chercher hé hé. Bien parti cet épisode: demain je suppose qu'on sera le 20 janvier ;)

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