• POISON D’AVRIL - Rahar !

     

    Poizon d'avril ...

     

    Poisson d'avril - boites-a-lettres-autres-insolite-miami-etats-unis- www.photos.linternaute.com 

     

       

     - Poison d'avril ! -

     

     

    Voilà trois ans que Juan « Speedy » Gonzales m’a embauché comme chef de sa sécurité. Je n’ai vraiment pas à me plaindre ; je ne dirais pas que c’est une sinécure, mais j’ai vu des situations mille fois pires. Je n’ai pas à trop me fouler la main : le nom même de Speedy est déjà une protection en soi, je ne vois pas d’individu assez fou pour soutenir son regard, même une grosse légume. Son secret ? Un recensement officieux des richards le classerait dans les dix premiers. Pourquoi officieux ? Ben ma foi, il ne serait pas convenable de crier sur les toits que l’on dirige un cartel de la drogue. Oh, le bougre est plus fin qu’un renard et aucun indice ne peut être directement pointé sur lui ; en outre, il a une armée d’avocats – les uns véreux, les autres non, pour la respectabilité évidemment – à sa disposition, il a des juges dans sa poche, ainsi que quelques députés, et certains policiers reçoivent régulièrement des enveloppes bien garnies.
      

    Comment je sais tout ça ?

    Poisson d'avril - www.coeurd'enfant.skynetblogs.beJe suis tout de même un ancien officier instructeur de l’armée, ce qui veut dire que je suis plus instruit et plus intelligent qu’un adjudant réputé borné et sur qui on a l’habitude de faire des blagues comme sur les Belges. Je n’ai pas les yeux dans les poches et ni les oreilles bouchées par le cérumen. Ce n’est pas que Speedy me témoigne une confiance aveugle, mais un de mes anciens copains de l’armée était affecté dans la section Renseignement et je lui avais soutiré quelques tuyaux sans avoir l’air d’y toucher… enfin, juste par curiosité. Mais en fin de compte, cela m’a été utile, toujours pour satisfaire ma curiosité. Et qui sait, ça pourrait m’être éventuellement profitable…
      

    En y réfléchissant, je crois que le destin m’a pris en affection.

    Quand j’ai été saqué de l’armée à quelques années de la retraite, j’étais au trente sixième en dessous. Oh, c’était dû à une sordide histoire de fesses. Je suis persuadé que c’est ce pète-sec de colonel qui a monté en épingle toute l’affaire ; il ne m’a jamais blairé, il me jugeait trop… brutal.
      

    Une brute, moi ? Je sais qu’on me traitait de « peau de vache »

    derrière mon dos. C’est faux, je suis juste d’une sévérité toute paternelle. Je voulais former de vrais soldats, et si certaines recrues s’étaient… hum, cassé quelques os, la faute en incombait à leur faiblesse, congénitale ou non. Quoi ! Je ne faisais que favoriser la « sélection naturelle » de Darwin. Au cours de mon divorce, l’avocat de ma femme avait produit des photos d’ecchymoses, mais le mien avait habilement argué que cette idiote était d’une maladresse congénitale et n’arrêtait pas de se cogner partout. Quant aux bleus de mes fils, mon bavard avait judicieusement cité : «  Qui aime bien, châtie bien et mon client n’a fait qu’appliquer l’éducation saine inculquée par ses parents. » Une brute, moi ? Soyons sérieux !  

     

    Bref, quand l’armée avait incorporé la gent féminine,

    cela m’avait un peu bouleversé… comme les autres, je suppose. Les instances supérieures de la hiérarchie « déconseillaient » vivement toute relation intersexuelle non officielle… ce qui sous-entendait tout abus d’autorité à des fins libidineux. Cette petite lieutenant n’avait pas été effarouchée par mes avances (je m’étais dit que cela me dispenserait des bordels et me ferait des économies par la même occasion). C’était une affaire très chaude, et les préliminaires torrides avaient fait prévoir une forte tempête. Comme on le sait, en cas de tempête, tous les ports sont bons. Mais malheureusement pour moi, le port en question n’avait encore jamais accueilli de navire et la passe étroite avait été méchamment rabotée par mon bâtiment. Cette garce avait été admise à l’infirmerie en geignant et jurant, et moi j’ai comparu devant le commandant de compagnie. Tous ces hypocrites m’ont éjecté pour avoir « terni » l’honneur de l’institution par mon acte « immoral » et que je pouvais toujours me brosser pour bénéficier d’une honorable retraite. Tout çà pour un truc que tous ces enfoirés ont pratiqué au moins une fois.
      

    C’était alors que Speedy m’avait recruté.

    Il voulait un homme à poigne pour assurer son service de sécurité. Je suis impressionné par son service de renseignement : il savait même qu’à douze ans, je m’amusais à tuer les chiens de nos voisins. Voilà pourquoi j’ai dit que le destin m’a souri. La paie est excellente, voire fabuleux, je peux écrémer à ma guise le personnel (Speedy faisait simplement supprimer les faibles et les estropiés, je m’en doute), et je commande tout le matériel que je veux.
      

    En fait, je me la coule douce.

    Les seuls moments où je dois mobiliser toute mon énergie, c’est quand Speedy doit sortir de sa villa aussi luxueuse qu’immense. Il doit rencontrer des personnalités ou des « émissaires », ou bien présider quelqu’œuvre de bienfaisance, assister à un vernissage… En réalité, il n’a pas vraiment grand’chose à craindre, sauf peut-être de la part de quelque déséquilibré.
      

    Je dois aussi assurer la sécurité de madame et du petit dernier

    (qui, à trente ans, vit encore chez ses parents) au cours de leurs sorties. Les parties qu’ils organisent me font parfois tourner en bourrique, c’est fou ce que les gens sont indisciplinés et d’une arrogance incroyable. Le fils aîné vole déjà de ses propres ailes et dirige une entreprise qui blanchit le blé de papa (ne me demandez pas comment je le sais, motus).
      

    Quant à la villa, c’est une forteresse imprenable.

    J’ai fait installer le nec plus ultra des détecteurs, trois dangereux dobermans sont libérés la nuit, le bâtiment lui-même est truffé de toute sorte de gadgets. Une mouche ne pourrait pas y entrer.
      

    À soixante cinq ans, Speedy ne les fait pas.

    Il est vrai qu’avec tout son pognon, il peut se permettre tous les moyens de paraître plus jeune : sport, massage, traitements coûteux… Son médecin personnel ne mérite pas ses honoraires : même pas un tout petit rhume à traiter, depuis que je suis dans la place.
      

    Alors, jugez de ma stupéfaction

    quand sa femme a donné l’alerte, quand, à midi et demi, Speedy n’était pas encore apparu au déjeuner et que la domestique avait toqué en vain à la porte de la bibliothèque. Il s’était barricadé comme de coutume. Après avoir défoncé la porte, nous l’avons trouvé affalé sur le bureau d’acajou, la tête sur le clavier de son notebook, des papiers répandus à terre. Il avait clamsé. J’ai envoyé chercher le toubib et ai dû raccompagner madame dans sa chambre en pestant in petto : ma chemise est toute trempée de ses larmes.
      

    Chiottes ! Que vais-je devenir ?

    La veuve et son fils n’auront peut-être, sûrement, plus besoin de mes services. Ma cagnotte ne suffira pas à assurer mes vieux jours, et à mon âge, trouver un autre protecteur n’est pas évident. Enfin, on verra.
      

    Surprise !

    poisson d avril - www.pourton.infoLe toubib a décrété que Juan « Speedy » Gonzales n’a pas succombé à quelque AVC, il est mort empoisonné. C’est invraisemblable ! Il a bouffé le même p’tit déj que sa gonzesse et son rejeton. Il garde la clef de son bar et personne n’aurait pu toucher à sa bibine, même pas son fils ; d’ailleurs, il ne boit que le soir ou quand il reçoit des relations d’affaire. Ses cigares sont également enfermés et il n’en a pas fumé. Les fenêtres vitrées sont closes et d’ailleurs, les barreaux extérieurs empêcheraient quiconque d’entrer. La porte de la bibliothèque était fermée à clef, avec celle-ci dans la serrure. La domestique est toujours accompagnée par un de mes hommes, quand elle fait le ménage de cette pièce. Comment a-t-il donc été assassiné ?

     

            
    ***
              

     

    Un contrat au nom de Juan Gonzales.

    Je connais le zouave. Il est soupçonné d’être derrière un important cartel de la drogue, mais il est assez malin pour casser toute piste menant à lui. J’aurais pu m’intéresser à Speedy depuis longtemps, mais l’Éboueur ne travaille pas à l’œil (ou presque jamais). L’occasion se présente donc à Klotz pour son double plaisir : un assainissement très bien rémunéré de la société. Qui était donc assez puissant pour vouloir s’attaquer à ce cachalot ? Une guerre d’influence, un loup aux dents longues ?
      

    Enquêter semble superflu,

    je connais sur le bout des doigts le CV du zigoto. Mais ma curiosité est titillée par le fait qu’on a osé lancer un contrat sur lui. Je fais la tournée des grands ducs et laisse traîner mes oreilles. Des rumeurs, rien que des rumeurs. C’est le plus insignifiant de mes indics qui me fournit le petit détail insolite. Il y a une semaine, des Chinetoques déguisés en touristes se sont baladé en ville. Quoi de plus banal, dirait-on, les Chinois fortunés imitent de plus en plus les Japonais à la découverte du monde. Mais ces jaunes-là avaient de drôles de tatouages sur leur corps. Mon indic qui a pu en voir un torse nu, m’a fait une description qui m’a fait dresser les cheveux sur la tête.
      

    Je contacte Romain et lui fait faire certaines recherches.

    Comme je m’en doutais, ces drôles de cocos sont de la Triade. Mais qu’est-ce qu’ils venaient foutre ici ? Je demande à Romain de jeter un œil dans le réseau de la brigade des stups et d’en extraire les dernières statistiques. Le trafic de drogues asiatiques a subi des revers providentiels (malheureux pour la Triade, bien sûr), grâce à des dénonciations anonymes ; pourtant, le niveau de consommation intérieur n’a accusé qu’un seul pic de manque. Il était clair que Speedy avait joué un tour de cochon aux Yeux Bridés et avait voulu s’accaparer leur créneau. Il ne faut pas mésestimer les Asiatiques et prendre les enfants du bon Confucius pour des canards (de barbarie) sauvages, car il n’y a rien de plus teigneux quand ils ont pigé l’entourloupe. Comme il leur était difficile, voire impossible d’agir discrètement ici, compte tenu de leur physionomie, ils n’ont eu d’autre recours que de s’en remettre à la main d’œuvre locale. Je déduis donc que ce sont eux mes clients.
      

    Je fais un tour du côté de la villa de Speedy. Le problème est intéressant. La forteresse est très bien gardée. Le mur est haut et est électrifié. Neutraliser les chiens n’est pas envisageable : ils portent un émetteur qui signale toute immobilisation anormale. Le plan des gadgets de la villa que Romain a pu pirater est désespérant de complexité ; un moustique ne pourrait pas y voler cinq secondes sans être détecté. Il n’y a aucun point où un sniper pourrait atteindre une quelconque cible dans la villa. Les voitures sont évidemment blindées et seul un bazooka ou un missile serait efficace ; mais l’Éboueur a horreur de ces trucs « grossiers ».
      

    J’assiste à l’arrivée du postier.

    Il glisse le courrier par un trou dans le mur en soulevant un volet métallique ; il n’a pas besoin de sonner, sauf probablement quand il y a quelque chose à signer. Je demande à Romain des infos complémentaires. Speedy va rendre visite, seul, à sa môman dans une maison de retraite de luxe, une fois par mois. La vieille dame écrit à son fils chaque semaine, refusant obstinément de toucher à un quelconque ordinateur. Donc les Gonzales reçoivent régulièrement du courrier, lequel courrier est glissé dans une boîte à lettres que le chef de sécurité vide chaque matin ; il doit examiner tout colis autre qu’une mince lettre pour éviter un quelconque paquet piégé.
      

    Cette nuit du jeudi 31 Mars,

    je m’introduis dans les locaux des postes, guidé à distance par Romain derrière ses écrans. Il ne m’est pas difficile de trouver le pli de Mom' Gonzales adressé à son garnement de fils, grâce à l’informatisation très avancée des lieux. Je gagne rapidement mon labo sous la remise de mon jardin. J’ai étudié la chimie par correspondance, et si je n’ai pas de diplôme d’ingénieur, j’ai été avantagé par des travaux pratiques intenses sur du matériel de pointe financé par mon lucratif « boulot ».
      

    Je dispose déjà d’un poison volatil sous forme de feuilles,

    dans un conteneur étanche. Une fois exposée à l’air libre, la feuille commence à se sublimer et ses émanations toxiques tuent rapidement dans un rayon d’un demi mètre, avant de se neutraliser en quelques minutes. J’ouvre à la vapeur l’enveloppe de maman Gonzales. J’y glisse presto la petite feuille de poison et scelle rapidement la missive. Il n’y a pas suffisamment d’air pour que le processus puisse s’amorcer. Je retourne à la poste remettre le pli en place, grâce toujours à l’aide à distance de Romain.
      

    Poisson d'avril - www.gralon.netLa nouvelle de la mort de Speedy s’est rapidement répandue

    dans le Milieu, et les circonstances horribles et mystérieuses ont frappé d’une crainte superstitieuse une bonne partie des malfrats. J’imagine que les Asiatiques vont essayer de reprendre peu à peu le terrain perdu. Enfin, ils peuvent toujours essayer.
      

    Oserais-je dire à Yvonne qu’un joli petit poisson de papier

    est collé à son dos ? Voilà donc pourquoi ce garnement de Dany avait mis en désordre ses feutres de couleur. En rigolant, je pousse gentiment ma fleuriste vers la porte pour la ramener à sa boutique. En jetant distraitement un œil dans le grand miroir du vestibule, je perçois fugitivement quelque chose au dos de mon blouson.
       — Dany !!! Petit sacripant !...

     

     

     

    - RAHAR -

     

     

    Références des illustrations : voir à "Poisson d'avril" dans l'album Fantaisies 4.

     


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  • Commentaires

    1
    Vendredi 1er Avril 2011 à 08:11
    Lenaïg Boudig

    Merci beaucoup pour ce gros et stupéfiant poisson d'avril, Rahar ! Toujours pas vu, pas pris, le Klotz ! Bises !

    2
    Vendredi 1er Avril 2011 à 11:43
    Lenaïg Boudig

    Rahar, j'ai mis le lien sur facebook pour que les amis de plume qui y sont puissent venir te lire, directement (la petite mention "Poizon d'avril" que j'ai rajoutée en tête était pour que facebook "accroche" le début du texte, les caractères du titre étant trop gros ... ; ce n'est pas gagné, mais le poisson milliardaire bling bling va aussi y contribuer, je l'espère !). Moi, je me suis tout simplement régalée ! Bises !

    3
    Vendredi 1er Avril 2011 à 16:49
    Marie-Louve

     Quel grand plaisir de retrouver en ligne, un premier avril, ce Klotz king d'un univers de salopards à remettre surtout morts, aux anges. J'adore la chute. Dany nous ramène à la réalité. Hi,hi,hi Merci de nous offrir ce beau cadeau. Bonne journée. Amitié.  

    4
    Vendredi 1er Avril 2011 à 16:51
    Marie-Louve

    Coucou Léna ! Tes illustrations sont débordantes d'humour. Bravo à toi aussi. Bisous et bon vendredi.

    5
    Dimanche 3 Avril 2011 à 11:24
    Lenaïg Boudig

    Bonjour, Rahar et Marie-Louve ! Un petit point : j'ai regardé, Rahar, tu as eu quatorze lecteurs jusqu'à présent, sans commentaires sauf Marie-Louve bien sûr, et tu peux ajouter une quinzième lectrice, moi, qui étais la première !

    Je trouve que c'est déjà pas mal !

    Bises à vous deux.

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