• passiflore   

     

     

    Louanges

     

        Il est des moments où le temps prend une toute autre dimension à la lumière d'une émotion suscitée par un évenement, un film quelquefois ; où tout paraît dans sa profondeur, une création qui parle de son éternité comme au ralenti, comme sur des tableaux : le livre d'histoire d'une famille.

     

    Et alors, submergé par l'émotion, tout prend sa vraie valeur : on regarde les gens, les animaux, les objets même dans leur profondeur, dans leur âme ; et ainsi, on se surprend à vivre dans un temps qui n'a pas d'âge, où tout est noble..., où Tu es, Présent, en Ton Amour Eternel ; et c'est là ( là aussi) que l'on Te rejoint ! Certainement un avant goût du Ciel, une grâce que Tu nous donnes ; encore une ! Merci mon Dieu !

     

    O Seigneur, serait-ce aussi Ta Grâce que de sentir, dans la fraîcheur du matin, cette communion avec la nature, ce calme qui nous parle, nous apaise quand, vers le début de l'hiver, on voit le petit rouge-gorge, les arbres endormis, les senteurs de l'humus qui s'élèvent ? Et que, accompagné de son chien, on ressente l'indicible harmonie de cette sensation que nous sommes tous créés du même Père, tous frères et soeurs de la pierre jusqu'à l'Ange, avec la joie immense de s'en rendre compte ?

    Je Te loue, Seigneur, de nous avoir créés, nous faisant participer à cette création !

    ***

     

        Voici, présentés succintement, des lieux et des moments choisis :

     

     

    Printemps

     

       Je sens venir bientôt ce que sera le printemps dans nos contrées du sud : une brise légère de chaleur différente à celle de l'automne, un souffle plus vivant enrôbé des parfums qui sévissent alors selon chaque région. Les arbustes et les plantescezanne mer l regardent vers le haut et brandissent leur branche comme des suppliants priant après la pluie qui se fera plus rare, les étoiles de l'air clignotent comme une matière vile dans l'éther presque opaque. La terre se réveille après avoir dormi, l'image en est palpable...

     

    Ici, viendra l'odeur du thym et la couleur du miel glissant dans les narines au tout petit matin, la fraîcheur s'en ira en allant vers avril et les premières brûlures couleront sur nos peau comme une main timide qui cherche l'amitié. L'encens du mimosa sera presque oublié en arrivant vers Pâques et les premières cloches, mai ouvrira ses bras sur un ciel cristallin que seul le bon Dieu à créé en Provence...

     

    Heureux pays, gâté par les tracteurs aux routes immobilières et les restaurateurs noyant la bouillabaisse. La côte se chargera des meilleurs et des pires dans des activités introuvables à certains.

    Tans pis : ne gachons pas notre plaisir, et disons bonjour au printemps !

    ***

     

    Le Médoc.

     

        Que dire de mon médoc que j'ai presque oublié quand j'écris ces lignes.

    Oh ! amis du sud-ouest, n'en veuillez pas à un de vos compatriotes exilé au pays de Pagnol : l'un et l'autre sont beau, l'un gagne mes racines, l'autre mes fruits amers et dignes. Oserais-je avouer que le fruit du labeur poursuivant le chômeur m'a jeté en Provence ? Certes mais,  jamais je n'oublierai le pays de mes pères aux vignes horizontales courant sur l'océan.

     

    galerie-membre,retouche-photo,st-martory-pont-sur-garonne-oUn château, et le plat lancinant ondulant quelques courbes et s'arrêtant au fleuve pour regarder Pauillac jusqu'à la citadelle, de Blaye. Ici, vit un espace aux odeurs de raisins qui vont dans les chandails et ne nous quittent que, bien après les vendanges. Ici, vit la Garonne immensément boueuse qui charrie un passé laborieux et puissant.

     

    Les chais disséminés font partie de la terre, rousse et verte à la fois, rouille et noire de charbon au milieu des sarments selon chaque saison. Margaux, Lamarque, tant d'autres vins auprès de Castillon ou de saint Emilion, descendent vers Bordeaux, sa cathédrale anglaise, ses portes médiévales regrettant leur époque. Bordeaux : port de la lune...

     

    Vous me manquez ; je ne vous oublie pas !

    *** 

     

    Dominique

     

     

    A suivre ...

     


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  • La-DefenseIl la quitta, comme une seconde fois, comme un renouveau. Le reste de la journée passa lentement, de façon étrange, entre rêve et réalité. Marchant sans but dans la ville, Benoît s'arrêta devant des vitrines les yeux vides, en voyant défiler intérieurement, sans pouvoir les maîtriser, des souvenirs enfouis depuis son  enfance jusqu'à ce jour. Flashs et pensées s'entrechoquaient vers une signification qu'il ne saisisssait pas. De temps en temps, revenait en sa conscience, le rendez-vous du soir, qu'il chassait aussitôt de sa conscience. Il passait instantanément de la tristesse à l'exaltation.

    Nervosité ? Hallucinations ? Seule, la douce vision de Lisa parvint à l'apaiser. Celle qui l'avait aimé, sans vraiment le quitter, apparaissait au bon moment. Comment avait-il pu la joindre aujourd'hui ? Pourquoi ? Parce qu'il n'avait personne d'autre ?

     

    Le beau temps finit par chasser ses interrogations et il oublia tout en se fondant dans une foule dense. Les odeurs des épices et du café portaient ses perceptions vers d'autres horizons et il consomma goûlument une bière sur une terrasse animée, en vivant son présent avec délices. Les rues bondées de la mégapole le ramenèrent chez lui sans efforts et il se prépara machinalement pour le rendez-vous de dix-neuf heures.

     

    Il arriva enfin dans la salle d'attente vide de Belgium Society avec un souvenir diffus et brumeux de cette journée si particulière.

    «Il faut que je prie, pensa-t-il. Oh Seigneur, qu'est-ce que je vis, qu'est-ce que je fais ? Allons, sois positif, la vie est belle, j'ai passé un super après-midi, j'ai des amis, j'ai... » Benoît fit le vide, pour ne pas sombrer.

    Monsieur Quentin, on vous attend, invita la secrétaire.

    Il entra dans le bureau imposant du chef de service :

    Asseyez-vous, cher monsieur. Je vous écoute.

    Trou noir ; le candidat s'entendit donner les réponses attendues, répondre avec assurance en s'arrêtant après un temps indéfini, comme surpris par le verdict :

    Parfait, vous correspondez totalement à la personne que nous attendions. Pouvez-vous commencer demain matin à sept heures ?

    — Oui, bien sûr monsieur. Vous pouvez compter sur moi ! 

    — Nous vous demanderons seulement une petite introspection pour votre nouveau départ. Tâchez de vous y préparer, monsieur Quentin.

     

    Dans un état second, Benoît avança vers la sortie avec un sentiment d'excitation irréelle. « C'est ça, irréelle, pensa-t-il. » Il aurait voulu sauter de joie, embrasser son employeur, mais cela ne se faisait pas. Sa dernière phrase énigmatique s'effaça devant un autre fait, tout aussi spécial :

    «Mais pourquoi dois-je commencer à sept heures, et non huit» ? 

    Il remonta vers sa voiture et fonça, tel un automate, vers son appartement. Il aurait dû être heureux, mais n'éprouvait rien. S'en voulait-il de ne pas apprécier ce moment ? Réagissait-il normalement, alors que la vie lui souriait ?

    « Allons, allons, tout va bien ! » s'encouragea-t-il encore.

    Pour se persuader, il téléphona à Lisa, ses parents, ses connaissances qui, bizarrement, ne répondirent pas, leurs lignes étant occupées. Qu'importe !

    Le jeune candidat se coucha, perplexe, mais prêt, pour sa “première nouvelle journée”.

    « Haut les cœurs ! »

    La lumière s'éteignit.

     

    Dring ! Lever rapide, mécanique, sans état d'âme..., voiture, conduite-radar, jusqu'à la porte de l'immeuble dans l'aube d'un nouveau jour :

    « Pleins pots.  J'y suis, j'arrive patron ! » s'efforça-t-il de se dire.

    Benoît entra dans le hall de Belgium Society à sept heures “tapantes” et surgit dans la salle d'attente comme un éclair.

    Que puis-je faire pour vous ? demanda  aussitôt une nouvelle secrétaire.

    J'ai rendez-vous avec monsieur Spatio, pour démarrer ma prise de poste.

    Vous êtes... ?

    Benoît Quentin.

    Surprise, la secrétaire scruta son agenda et demanda :

    Quentin ?

    Oui.

    Attendez, je reviens...

    Une minute passa et Benoît commençait à se poser des questions quand la jeune femme réapparut.

    Il n' y a pas de prises d'embauche dans nos bâtiments, monsieur Quentin, et nous ne vous connaissons pas, pas encore, m'a certifié monsieur Spatio.

    Comment, pas encore ?

    Il doit y avoir une erreur regrettable, monsieur. Je suis désolé. Vous n'êtes pas prêt.

    Abasourdi, Benoît n'insista pas comme s'il était soulagé et, tel un robot, retourna sur ses pas... « T'aurais dû insister, crétin. Pourquoi aurais-je dû ? Et qu'est-ce que cette femme raconte ? » Tout à ses pensées, il sortit en marchant lourdement jusqu'à une cabine téléphonique...

    Allo Lisa ? Il est arrivé quelque chose de bizarre au cours de la journée d'hier ? Je t'ai bien dit que j'avais rendez-vous ?

    Oui, répondit-elle. Ça s'est mal passé ?

    Il lui décrivit les scènes qu'il venait de vivre. Son amie s’exclama :

    Je ne comprends pas. Tu ne t'es pas trompé ; mais t'a-t-on dit sept heures, dix-neuf heures, ou Ton Heure ?

    L'heure, oui ! Voilà l'explication !

    Raccrochant brusquement, il retourna comme un fou chez Belgium en s'efforçant de se contenir :

      Madame, le rendez-vous m'a peut-être été proposé à dix-neuf heures, comme hier ?

    Impossible monsieur, il n'y a jamais personne à ces heures-là dans nos bâtiments.

    Pourtant, j'habite tout prêt et, de ma fenêtre, j'ai aperçu de la lumière dans vos locaux.

    Pouvez-vous me dire quand ?

    Ce matin.

    Exceptionnellement, c'est vrai, notre agent est monté pour voir l'incendie rue de l'abbesse, à l'angle. Le feu a duré toute la nuit. Personne n'en a réchappé...

    Hier ?

    Non, cette nuit monsieur.

    Cet endroit... mais c'est chez moi !

     

    Paniqué, Benoît se souvint tout à coup que Lisa était morte depuis un an. Devenait-il fou ? En un instant, et sans comprendre comment, il se retrouva devant le bâtiment en flammes au moment où deux pompiers tentaient de réanimer un homme. Il s'approcha et recula de stupeur : cet homme, c'était lui ! Comme aspiré, il fut de nouveau face à la secrétaire et hurla :

    — Où sommes-nous ?

    — Embarrassée, la secrétaire répondit avec douceur :

    Calmez-vous ! Vous en saurez plus en passant cette porte,  monsieur Quentin. Mais tout d'abord, détendez-vous, on va venir vous chercher et nous ferons un bilan ensemble, pour votre avenir, au-delà de vos craintes, croyez-moi.

    Un bilan ? Mais un bilan de quoi ?

    — De votre vie, monsieur, afin que cette heure décisive, cette heure clé devienne la vôtre.

    Il la regardait sans comprendre.

    — Elle sourit, d'un regard lumineux :

    — Détendez-vous, Benoît : votre heure est venue ; sans que vous le sachiez...



    Auteur : Dominique

    Image : www.reportagesphotos.fr/A1335-tutorial-reussi
    La Défense 


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  • Gribouillis edited











    ette heure, dites-vous ?





    Dring ! Dring ! Dring ! « Quelle heure est-il pour qu'on m'appelle si tôt ? oh ! Sept heures !

    Benoît se leva lourdement et tituba vers le téléphone.

     

    - Allo ?

     

    - Monsieur Quentin, habitant rue de l'Abbesse, appartement 804 ?

     

    - Oui, c'est moi.

     

    - Monsieur Spatio à l'appareil. C'est pour le poste que vous recherchez... Nous sommes la Société “Belgium”...

     

    - Ah... oui...

    - Nous avons retenu votre candidature et vous attendons à votre heure ; sept heures, ce soir, vous iraient ?

     

    - Bien sûr monsieur, bien sûr !

     

    - Soyez ponctuel, c'est très important.

     

    - Pas de problème monsieur. À ce soir !

    "Enfin" s'écria joyeusement Benoît en raccrochant. La question d'un rendez-vous d'embauche inhabituel en soirée ne l'effleura pas. Depuis des années qu'il vivait dans l'incertitude des travailleurs précaires, la chance survenait-elle enfin ?

    "Oh ! Pas trop d'investissements, pas trop d'espoirs, non, tu as déjà été si déçu", se raisonna-t-il. "Fais attention mon gars ; calme-toi, prends un café et respire. Rien de tel pour avoir les idées claires ! Oui, calme vieux, calme !

    Bon ! Comment bien me préparer ? Revoir mes CV, mémoriser mon parcours, simuler un entretien ?"


    Fébrilement, Benoît nota toutes ses idées. Le Curriculum était déjà actualisé, il suffisait de l'adapter au poste, les dossiers étaient “nickel”, prêts à l'emploi. Plongé dans ses souvenirs professionnels, il réalisa soudain qu'une heure s'était écoulée.


    "Whoo, le petit déjeuner !"

    Café, jus d'orange, tartines, Benoit mangea mécaniquement, sans appétit, la tête dans ses rêves. Un malaise, pourtant, s'installait, malgré la bonne nouvelle.
    "Ben alors, ce n'est pourtant pas la première fois !" s'exclama-t-il
    Rien à faire : l'étrange lourdeur persistait.


    Il venait d'atteindre 34 ans. Orphelin, sa vie s'était déroulée dans une monotonie complète où seules, des études réussies dans l'informatique avaient un peu égaillé son quotidien. Rien : aucune valeur, aucun idéal ne lui avaient été inculqués hors quelques prières chrétiennes qu'il psalmodiait quand tout allait mal. Peu de connaissances, que son physique ingrat n'avait pas attirées, une conquête amoureuse inespérée dont il ne se souvenait plus de la rupture brutale, tous ces éléments semblaient constituer l'essentiel de la vie de Benoît : un instant, terne et sans but. On eût dit qu'une malédiction traînait derrière ses pas, à moins que ce ne fût un manque de confiance en son destin. Les deux dernières années de son existence l'avaient mené de contrats précaires en missions d'intérim, jusqu'à ce que, petit à petit, le chômage s'installe durablement... La lueur restante de son amour perdu donnait pourtant à son âme une raison d'espérer une vie nouvelle, joyeuse et intense.


    Benoît s'habilla rapidement en prenant soin de bien choisir ses vêtements. Le calme lui revenait peu à peu. Au-dehors, le temps était splendide avec des rayons solaires inondant de chaleur.

    "Bon augure" se dit-il. Sans vouloir donner prise à la superstition, il sentait ce jour différent : une date clé, fatidique. Pendant sa flânerie dans le parc, la sensation indéfinissable de malaise le reprit, plus forte que ses sentiments, ses espoirs, ses échecs mêmes. Une voix intérieure le surprit : "C'est trop tard Benoît, trop taaard... "



    De gros nuages surgirent brusquement et les oiseaux cessèrent leur gazouillement. Le cœur serré, il appela Lisa, son ex-petite amie, qui avait toujours cru en lui malgré leur séparation.

    "Je vais me détendre en marchant, se dit-il. Comme ça, je me mettrai en condition. Oui, c'est bon ça ! Ensuite j'irai voir les amis, je leur raconterai, et ils me “coacheront” !"


    - Puis-je me rendre chez toi ce matin ? C'est urgent.
    Le connaissant, elle ne posa pas de questions :
    - Ne bouge pas, j'arrive,
    répondit-elle.


    L'espace et le temps prenaient une consistance comme élastique. Les passants ressemblaient soudain à des spectres transparents. Intrigué, il s'assit sur un banc et attendit Lisa, non sans angoisses.

    Sa présence juvénile et joyeuse le rassura tout de suite. Après avoir écouté attentivement son histoire, la jeune femme proposa à Benoît de se reposer, ne penser à rien et d'emmagasiner de l'optimisme.

    - Tu dois te changer les idées, c'est tout ; surtout ne pas te crisper devant des demandes imprévues, étonnantes peut-être ...
    Elle prit un air étrange en lui disant :
    - Tu comprendras ce qu'ils veulent de toi quand tu les verras. Moi aussi, j'ai vécu ces moments. Veux-tu que nous en parlions ?
    - Mais j'ai l'esprit vide, reprit-il sans l'écouter, j'ai peur et je ne sais pas pourquoi. 
    - Allons, rappelle-toi tes bons souvenirs, tes succès, tes bonnes actions et tout ira bien ce soir. Je dois te quitter à présent, finit-elle par lui dire avec un regard furtif. Passe la journée, détendu et confiant ; à cinq heures, récupère tes documents à ton domicile, peigne-toi un peu et dès sept heures moins le quart : hop ! dans la salle d'attente de ton futur patron. Okay ?
    - Okay Lisa. Merci, tu es un amour !

    A suivre

    Auteur : Dominique

    Dessin naïf de Lenaïg


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  • peterdeunov2Mardi survint. Comme chaque matin, Laura vint acheter les précieuses viennoiseries. Les gestes pressés et méthodiques du boulanger la ramenèrent tout à coup à la réalité.

    « Vite, dépêchons-nous ! s'exclama-t-elle, le bus arrive dans une heure, il ne faut pas le rater ! »

    — Francis, Francis ! Le jeune homme trépignait d'impatience et ne fut pas long pour le départ.

    Lorsque le véhicule démarra, ils observèrent par la fenêtre les paysages glissants sur leur visage : hommes, femmes, arbres ou maisons paraissaient irréels dans une densité que l'on peut ressentir avant un grand évènement, comme un film au ralenti.

    En descendant du car, ils aperçurent un chemin arrondi entre deux haies verdâtres menant au rendez-vous.

    — Le chemin des initiés, dit Laura en souriant.

    — Celui dont nous parle avec adoration la copine de ta mère, répondit Francis.

    Ils rirent de bon cœur et s'élancèrent vivement vers l'immeuble.

    En fait, ils étaient morts de trac.

     

    L'un et l'autre avaient imaginé un endroit fascinant auréolé d'une atmosphère subtile aux relents orientaux. Ils furent déçus : la maison des initiés s'élevait au troisième étage, deuxième porte à gauche, au centre d'un bâtiment rectangulaire situé dans la banlieue d'une

    grande ville. Sur l'entrée on lisait : " Mr et Mme Philippe Meyer, psychothérapeute ". Ils sonnèrent, et l'ouverture s'opéra sans qu'ils eussent besoin d'attendre.

    — Veuillez entrer, dit leur hôte avec gravité.

    L'appartement, dépouillé, laissait apercevoir un blanc immaculé semblable à ces bâtisses méditerranéennes ou d'Afrique du Nord que l'on admire dans les livres. Rien, sur les murs, hors quelques symboles comme le pentagramme ou le fameux Yin et Yang. Des hiéroglyphes insolites, discrets, entouraient le tout. Il flottait une forte odeur d'encens et la photo imposante d'un vieillard brillait sur la devanture du salon.

    — C'est le Maître ? questionna Francis.

    Sans lui répondre, Philippe le dévisagea pendant qu'Andréa, sa compagne, allait chercher le thé. Elle revint avec un grand sourire et se tut.

    — Comment avez-vous découvert l'enseignement ? demanda l'homme.

    Avec timidité, ils racontèrent brièvement leurs chemins respectifs.

    — Avez-vous déjà médité ?

    — Hum... un peu..., depuis que nous connaissons votre Maître.

    — Ce n'est pas mon Maître, c'est Le Maître ! Appuya l'homme avec déférence, et je suis un de ses disciples.

    Autour de la théière fumante, ils s'assirent en cercle au son d'une musique hindoue vaporisée d'encens. On n'entendait pas une mouche voler comme si chacun guettait la parole de l'autre.

    — Si vous voulez avoir l'honneur d'être admis, vous devrez étudier l'Enseignement en profondeur et apprendre à méditer régulièrement, dit Philippe en brisant le silence.

     — Nous nous réunissons chaque dimanche matin ici, continua Andréa, et nous accomplissons un grand travail spirituel. Il faudra vous y conformer tel que le Maître le demande, dit-elle cérémonieusement.

    Philippe raconta qu'il rêvait toutes les nuits et, qu'ayant atteint un certain niveau d'évolution, ses songes comportaient des significations initiatiques qu'il nous révèlerait. L'atmosphère, à la fois étrange et surprenante, achevait d'envoûter les deux amoureux.

    — Voulez-vous venir dimanche prochain ?

    Proférer un refus leur sembla impensable. Laura et Francis entraient maintenant dans l'enseignement du Maître, comme ils l'avaient espéré...

    — Et n'oubliez pas, conclut Philippe ne les raccompagnant, ce monde que vous vivez disparaîtra, pour un mieux. Nous en reparlerons.

    L'existence avait-elle pris une autre saveur, un autre sens ? Francis et Laura ne le savaient pas. Fortement impressionnés par cet échange insolite, il leur semblait qu'ils ne pouvaient plus agir comme avant, avec des responsabilités plus grandes sur leur destin.

    Un sentiment vague de fierté et d'inquiétude se conjuguait à un nouveau départ qui s'amorçait.

    Seule, Laura gardait quelques distances sans l'avouer à Francis. Au bout de peu de temps, elle avait remarqué qu'il ne la regardait plus de la même façon, même ses gestes de tendresses devenaient hésitants. Elle prenait conscience que l'enseignement du guru commençait à rogner, manger, leur petit nid d'amour.

    Les dimanches succédaient aux dimanches en créant de nouveaux liens avec des amis différents et de tous milieux. Le rituel austère n'entamait pas l'élan de Francis, mais ennuyait peu à peu sa compagne tout en la culpabilisant : elle avait peur de perdre l'élu de son cœur.

    — Tu sais, Laura, je crois que nous devrions arrêter nos soirées tarot, diminuer le tabac, les boites de nuit, afin de nous purifier. Tu as vu ce qu'écrit le maître à ce sujet dans son tome quatre ? finit-il par lui dire.

    — Faut pas pousser ; quand même ! s'exclama la jeune femme. Je vais faire des courses, tu viens ?

    Il ne la suivait plus. Le guru trônait maintenant sur le même poster que celui découvert chez Philippe et prenait dignement la place du Ché. Des musiques zen, new-âge, grignotaient peu à peu Deep-purple et les Stones et Laura ne comprenait plus rien...

     

    Un drame survint en octobre qui faillit bouleverser la nouvelle vie des amoureux. Philippe, adepte parmi les adeptes, résolut, après maintes réflexions, disait-il, de dissoudre le groupe. Le choc fut grand et plus particulièrement pour Francis et Laura, arrivés récemment. Que se passait-il ? Pouvait-on s'autoriser une attitude aussi radicale sans en avoir informé les membres ?

    La situation couvait, paraît-il, bien avant la venue des petits derniers. Philippe et Andréa, las du manque de discipline avéré, que n'avait pas remarqué le couple, avaient décidé de provoquer cet électrochoc ; pour un temps...

    Au lieu, comme l'espérait maintenant Laura, de démoraliser Francis, l'évènement soudain le poussa vers une action plus grande et plus engagée. « S'ils me veulent, pensait-il, je dois m'arrêter de fumer, devenir végétarien, lire les livres, méditer plus que jamais ! »

    En proie à la peur, le jeune homme atteignit ce but avec courage sans s'apercevoir du décalage qui se produisait avec sa compagne.

     

    Ils vivaient à présent l'un à côté de l'autre. Laura commença à se réfugier auprès de leurs anciens amis qui, voulant l'aider, se firent rabrouer vertement par le nouveau disciple. Elle le regardait, il ne la voyait plus. Elle venait lui parler, il ne l'entendait plus...Ses gestes, maladroits, ses propositions de petits gueuletons appréciés du passé, ses désirs de sorties proposés et dédaignés, achevèrent de la désespérer. Le Maître avait pris pleinement possession de Francis récitant des mantras : om mani padmé oum, om mani padmé oum, om mani... Rien ne le détournerait de sa quête, tout autre choix n'étant qu'illusion, maya...

     

    Fin décembre, sous les encouragements prudents de Philippe et Andréa, Francis partit visiter le groupe mère situé près de Paris. Certaines dates, liées aux équinoxes, solstices et diverses fêtes religieuses associées à l'enseignement ésotérique, permettaient de rassembler les adeptes régulièrement. Francis, flatté, fut reçu et adopté par les anciens qui lui parlèrent abondamment de leur mouvement spirituel préparant l'ère du Verseau dans une grande famille universelle. N'était-ce pas ce qu'il avait toujours cherché : une famille ?

    Laura n'était pas venue, mais il ne s'en souciait pas. Son recul l'avait blessé.

    À la fin du congrès, il obtint, par miracle, pensait-il, la permission de s'installer dans la communauté spacieuse du sud de la France, sorte d'ashram à l'Occidentale semblable à ceux fondés par les gurus indiens dans leur pays. On avait besoin de nouvelles têtes, d'énergies enthousiastes et juvéniles. Le garçon était aux anges. Dès son retour, il prépara ses bagages et régla ses affaires en cours avec jubilation : l'aventure continuait !

     

    Le recul inquiet d'Hélène, la mère de Laura, les mises en garde de Philippe et d'Andréa, sentant quelque chose leur échapper, rien n'y fit. Laura, elle-même, ne comptait plus et n'essaya pas de le retenir. Elle tenta quand même d'alerter les parents de Francis, mais sans succès. Sa grand-mère, témoin de Jéovah, lui prédit les flammes éternelles...

     

    Ce premier février 1983, Francis, sain de corps et d'esprit, prit le train, en souhaitant à Laura un amour meilleur que le sien. Il partit sans se retourner.

     

    Nul ne sait, depuis, ce qu'il est devenu...

    Auteur : Dominique.


    Image proposée par Dominique :
    Un guru.


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  • 250284« C'est le maître, chuchotait la vieille femme en regardant autour d'elle avec des airs soupçonneux... Il se rend bientôt à Paris, vous viendrez ? »...

    Cette conversation répandait une atmosphère curieuse, en contraste avec les sujets abordés habituellement chez les jeunes. La jeune femme avait fini par livrer ses craintes à son compagnon.

    — Et alors ? demanda Francis.

    — Alors rien, répondit avec agacement Laura. Tout ce que je sais est que cet homme possèderait des pouvoirs immenses, un peu comme les gurus en Inde ; tu vois ce que je veux dire ?

    — Pfff ! Qu'est-ce qui te fait croire ça ? Ricana-t-il .

    — Rien, répéta-t-elle, seulement que ma mère est toujours fourrée chez cette vieille depuis des semaines, et que je m'inquiète.

     

    Francis entoura amoureusement la jeune fille dans ses bras. Il l'avait connue quelques mois plus tôt au sein d'un groupe de marginaux qui vivotait, la plupart étant des étudiants ne sachant pas trop quoi « fabriquer » de leur bac et vivant leur première année de faculté en dilettante, à la sauvette. « On a bien le temps... » , pensaient-ils. Francis, le seul qui travaillait, de contrats précaires en chantiers saisonniers, ne se souciait guère, lui aussi, du lendemain. Son métier dans le bâtiment, imposé par les circonstances de la vie, lui faisait horreur. Il avait, depuis, coupé les ponts, brisé les liens qui l'unissaient à des parents peu soucieux de son sort dès sa majorité...

    En rejoignant Laura dans un logement, plus proche du taudis que d'un studio, le jeune homme avait fini par se faire renvoyer de son entreprise et filait avec elle un amour romantique plein d'espérances.

     

    On accédait au meublé par une entrée sombre menant à une des portes borgnes de l'immeuble, au détour d'un couloir crasseux. La pièce principale devait rester allumée jour et nuit, l'unique fenêtre percée donnant sur un mur noir... C'était un de ces quartiers de la vieille ville que l'on n'ose pas démolir afin d'en préserver les façades historiques.

    De l'autre côté existait ce qu'ils nommaient avec bonheur " la boulangerie miracle " car elle fabriquait les plus grosses viennoiseries du monde pour un prix imbattable, détail qui convenait parfaitement lorsque les fins de mois se faisaient sentir... La rue du Mirail transpirait l'odeur envoûtante du pain et des croissants magiques. Ils vivaient heureux, d'une joie conquise par l'insouciance de la jeunesse.

    — Ne pense plus à tout ça, conseilla Francis à la jeune femme.

    — Laura vint vers lui et l'embrassa.

    — Qu'est-ce qu'on projette ce soir ? Demanda-t-elle . Soirée Tarot, avec les copains ?

    Ah ! Le tarot ! Ces longues soirées animées, dans une fumée bleue de « boite de nuit » sous les lumières blafardes et les verres de bière !

    Francis n'aimait pas spécialement ces rendez-vous. Ce qui lui importait se résumait d'une ambiance amicale et un peu folle d'amis refaisant le monde en croyant que tout peut arriver, qu'il suffisait de vouloir. Les uns, petits bourgeois, râlaient de tout et de rien, d'autres traînaient leurs guêtres autour d'une boutique anarchiste à quelques pas de là, et certains, comme lui, s'intéressaient au paranormal, au développement personnel...

    — J'aimerais en savoir plus sur ce guru, finit par demander Francis, quel genre de discipline lui permet, avec ses disciples, d'atteindre un haut niveau de maîtrise.

    — Moi aussi, répondit Laura, ce sera un excellent prétexte pour vérifier où ma mère a mis les pieds.

     

    Quelques semaines étaient passées. En discutant avec Hélène, la maman, ils devinrent de plus en plus intrigués par les connaissances mystérieuses non dénuées de sens, qu'elle avait puisées dans l'enseignement spirituel du guru. Sa vieille voisine, venue à leur demande, s'était fait prier, mais avait finalement cédé, tant son désir de parler du « bonhomme » était grand.

    « C'est que, confiait-elle, il faut être prêt pour rencontrer un Maître...»

    L'étrange femme avait démontré que le premier venu ne pouvait pas entreprendre une démarche initiatique et qu'il serait nécessaire, s'ils le voulaient vraiment, de prendre le temps d'étudier la doctrine, et de se purifier...

    Interrogée sur ces affirmations, Hélène, auteure et enseignante, crut devoir confirmer au jeune couple y trouver un équilibre extraordinaire, découvert nulle part ailleurs. Et Dieu sait qu'elle avait cherché !

    Pour obtenir des réponses satisfaisantes, les deux amoureux demandèrent un rendez-vous au responsable du secteur et apprirent l'existence des groupes du Maître, disséminés sur tout le pays.

    « Il faudra patienter pour être reçu, leur dirent ces dames avec condescendance. »

     

    La vie avait donc repris son cours, ponctuée par quelques livres de la doctrine qu'on leur avait prêtés parcimonieusement pour un temps trop court. Francis s'était replongé dans les vieux documents et brochures qu'il possédait sur le sujet, à la lumière tamisée des soirées de tarot, pendant que Laura jouait avec leurs amis. L'aube se levait sur cette ambiance volage et chacun rentrait chez soi.

    — Crois-tu qu'ils nous recevront ? demanda-t-il  anxieusement à sa compagne. Il y a déjà trois semaines qu'on espère.

    Laura souriait en l'entraînant vers le lit. Pour elle, rien n'avait vraiment d'importance : elle vivait au jour le jour avec son « chéri », sa mère allait bien, alors, que désirer de plus ? Dehors, les petits oiseaux des villes se faisaient entendre, avec la douce odeur des

    croissants qui montait de la rue.

     

    Un matin, le téléphone sonna :

      — Allo, oui... oui..., d'accord, nous viendrons !

    Francis raccrocha le combiné, fou de joie. Sa compagne absente,  il s'empressa de se remémorer l'essentiel des connaissances ésotériques puisées dans ses recherches, afin de pouvoir donner une bonne impression aux disciples du Maître et, qui sait, un sens à sa vie.

       Ah, Laura ! rugit-il lorsqu'elle arriva. Nous sommes attendus mardi chez le guru ! Enfin, son groupe d'ici.

    Laura sourit et, mi-taquine, mi-sérieuse, l'embrassa en disant :

     — Préparons-nous Francis, préparons-nous !

     

    Les trois jours les séparant du rendez-vous se passèrent dans une folie presque surréaliste : monsieur composait des postures, méditait, rêvait d'un monde nouveau, pendant que mademoiselle choisissait soigneusement les tenues journalières. On leur avait indiqué les couleurs planétaires correspondantes aux jours de la semaine et il n'était pas question d'y déroger pour cette entrevue décisive. Ridicule, pas ridicule ? Il leur importait seulement de pousser leur curiosité jusqu'au bout afin d’ébranler la lourde monotonie quotidienne.

    Laura dégageait quelque chose de vague, comme ces personnes inquiètes se demandant ce qui va leur arriver. On eût dit qu'elle se gardait d'un risque de désillusion, à l'exemple de ces femmes, pratiques de nature, qui laissent leur conjoint s'éprouver devant l'adversité pour devenir des hommes.

    La rue du Mirail voyait s'écouler son lot de passants habituels sans pressentir qu'elle serait bientôt la page d'un passé révolu pour les locataires d'en face.


    A suivre

    Auteur : Dominique 
    ***

    Photo : photos.cityvox.com, forum France 2
    La Rue du Mirail, Bordeaux


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