• Les envahisseurs - Chapitre 6 - Rahar

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    Je descends en chemin pour récupérer mon vélo, puis je rejoins le centre ville. Mon arrivée coïncide avec la sortie des gazettes du soir. Seuls deux journaux sont bilingues. Plusieurs gros titres attirent l’attention, on annonce la maladie de plusieurs hauts gradés de l’envahisseur. Un article précise qu’ils ont été atteints par une gangrène foudroyante. D’autres officiers et des soldats ont été victimes de chiques vénéneuses. Les médecins étrangers ont prétendu que le système immunitaire de l’occupant n’était plus capable de reconnaître des maladies auxquelles il n’avait plus fait face depuis belle lurette, et l’organisme des autochtones est adapté aux déplorables conditions d’hygiène locale. L’envahisseur n’a insinué aucune malveillance de quelque sorte des indigènes.

     

    J’ai acheté quelques feuilles de chou pour l’édification d’Acky. Cela lui mettra du baume au cœur de savoir que sa famille est vengée. Je sais, ce n’est pas très moral, mais je trouve légitime qu’à son stade d’évolution, cette pauvre petite en tire une certaine satisfaction et un peu de réconfort. Pour ma part, je ressens un mélange doux-amer : la mort est toujours triste, mais nous sommes en guerre, n’est-ce pas.

     

    Le lendemain, alors que je déambule du côté du Grand Marché, j’intercepte une conversation entre un vendeur et son client.

    — Il paraît que le docteur cherche la seringue.

    — Autant chercher une aiguille dans une botte de foin.

    — Mais le toubib est pressé, car il prévoit une importante opération.

    — D’ailleurs, comment l’identifier ?

    Je poursuis mon chemin, amusé de surprendre cette drôle de conversation. Je ne fais pas quelques pas que j’entends deux marchands.

    — Comment veux-tu qu’on trouve cette foutue seringue ?

    — C’est vrai, ça. Et puis, comment saura-t-on que ce sera la bonne ?

    — Eh oui, on peut tomber sur de fausses seringues.

     

    Je suis intrigué. Le même sujet de conversation à deux endroits différents, ce n’est pas très courant. Ce n’est qu’à la troisième conversation identique entendue plus loin que ça fait tilt dans ma tête. Je comprends alors que c’est du code pour éviter les délateurs, car l’envahisseur n’a pas daigné apprendre notre langue. Je saisis que la seringue, c’est moi, rapport aux fausses maladies infligées à l’ennemi, et le docteur est certainement le réseau.

     

    Enfin les résistants se manifestent. Mais que me veut-on réellement ? Désire-t-on m’intégrer, ou bien est-ce que je représente un danger pour leurs plans ? Papa Wemba les a-t-il informé de ma venue et de ma requête auprès de lui ? Cela ne m’étonnerait pas qu’il ait vendu la mèche, je n’ai pas demandé le secret. Dans le pire des cas, un bon voyant pourrait me localiser… si je restais immobile en un lieu repérable, ce qui est aléatoire.

     

    Je prends le temps de réfléchir. Est-ce que je désire vraiment rejoindre le réseau ? J’aurais la possibilité d’exprimer la pleine mesure de mes capacités sous la houlette des meilleurs mentors. D’autre part, j’ai de la difficulté à me plier à une discipline rigide, on m’a toujours accordé une large liberté, rapport certainement à ma précocité. Corollairement, je manque singulièrement de modestie, je ne me prends pas pour de la merde, et ça pourrait générer une certaine friction, car les membres du réseau sont certainement mes aînés. Je vais tenter l’aventure, j’essaierai de brider mon arrogance et me montrer conciliant. Je dois me persuader que j’ai encore beaucoup à apprendre, car je manque d’expérience.

     

    En passant devant un kiosque à journaux, je remarque un attroupement inhabituel. Je joue des coudes pour lire les gros titres. Il est assez incompréhensible que l’envahisseur n’ait pas institué de censure, mais cela nous arrange. Dans certaines provinces, une vague d’épidémie de choléra s’est déclarée. Curieusement, c’est l’occupant qui est touché. Dans d’autres régions plus boisées, les moustiques et d’autres petits insectes — selon les rapports officiels de médecins militaires — ont fait des ravages dans les rangs de l’occupant atteint par une sorte de malaria et d’allergies diverses. Dans la province côtière, ce sont paraît-il les chiques des sables qui attaquent les permissionnaires étrangers, lesquels ont contaminé leurs camarades des camps. Je me doute qu’il y a eu des dommages collatéraux : certains de mes compatriotes malades ou affaiblis, mais je fais confiance au réseau pour les prendre en charge.

     

    On voit là toute la subtilité de la contre-attaque : une agression sournoise avec des armes inattendus et insoupçonnables. La population s’efforce de cacher sa joie ; beaucoup de gens se doutent de ce dont il retourne vraiment. On espère que l’envahisseur sera dégoûté par cette terre infecte et arriérée qui décime sa troupe, et va plier bagage incessamment. Je suis décidé à aider le réseau à donner le coup de grâce et je vais au Grand marché.

     

    J’approche un marchand de blouses, celles finement rayées dont raffolent les paysans, en lin et coton assez solide pour le travail au champ.

    — B’jour m’sieur, sauriez-vous par hasard comment je pourrais contacter Amzar ?

    — Hein, qui ? Amzar, dis-tu ?

    — Ben oui, je voudrais rejoindre le Réseau.

    — Ah ! Bien… Le Réseau… Oui, oui, le Réseau… Eh bien, attend-moi là mon gars, je vais rendre compte. Tu ne bouges pas, hein ?

     

    Le type s’éclipse en laissant son échoppe à sa vendeuse. En attendant, je déambule dans la petite boutique étroite toute en longueur — en fait, un bout de ruelle fermé — admirant la finition quasi industrielle de l’ouvrage pourtant confectionné artisanalement par les doigts de fée de nos habiles couturières. Ce n’est pas parce qu’elles sont destinées à une masse laborieuse que ces vêtements ne bénéficient pas d’une certaine élégance.

     

    Ce n’est pas le marchand qui revient, ce sont deux soldats bien armés qui se ruent sur moi et me passent les menottes. Je me résigne en me traitant intérieurement de tous les noms. Je me suis adressé à la mauvaise personne, un délateur ou un collabo. Voilà bien le défaut de la jeunesse, trop de précipitation pour négliger la perspicacité. Il aurait été plus sage de sonder prudemment les gens et ne pas dévoiler tout de go mes batteries. Dure leçon.

     

    A suivre

     

    RAHAR

     

     

     

    Illustration cueillie sur Google images, www.prevention.ch


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 8 Janvier 2012 à 08:02
    Monelle

    Oh là là  !! ça sent le roussi pour lui... mais pas de panique attendons la suite, il va bien avoir encore un tour dans son sac !!!

    Très bon dimanche à Rahar et toi - bisous

                                           x_3bdca152

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    2
    Dimanche 8 Janvier 2012 à 14:34
    jill-bill.over-blog.

    Bonjour Rahar, bonjour Lenaïg ! Ah oui dure leçon... de confiance !!!  Mais j'aime bien ce p'tit jeune.... A suivre donc !  Bel après-midi à vous deux !  Bizzzz JB

    3
    Dimanche 8 Janvier 2012 à 16:32
    Lenaïg

    Salut Christian ! Ouf, j'émerge, je pense que je vais beaucoup mieux, ce rhume abrutissant est en train de disparaître. Ce passage de ton roman est très réussi, je trouve (mais l'ensemble l'est, à mon avis !). Il y a de l'animation, du mouvement, du mystère dans les rues, des conversations codées (j'adore ça), du suspense et la surprise, désagréable, de la fin du chapitre, mais ce gaillard est plein de ressources et je ne m'en fais pas pour lui ! Bises !

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