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Le plaisir du dépaysement - Lenaïg, pour le jeudi en poésie
J'ai cherché, chez les grands poètes,
Du dépaysement.
On en trouve à perdre la tête,
Du joyeux, rarement.
Ségalen, Verlaine et Rimbaud,
Hérédia, Supervielle :
La désillusion et le beau,
Bien amères merveilles ...
Moi je veux du gai magnifique :
Les beautés pour Lili,
Syracuse et le Pacifique,
Chez Perret, chez Henri !
Puiserai-je dans ma mémoire ?
Modestes souvenirs,
Images, petites histoires,
Et lesquelles choisir ?
Bocage anglais, conduite à gauche,
Les portes du désert :
Du vert, du jaune qui s'accrochent,
Divins changements d'air !
Sur les toits plats en Tunisie,
Le thé chez l'habitant,
Etre ailleurs et bien accueillie,
Simple ravissement.
L'Ecosse et ses châteaux mystère,
Les pieds dans le Loch Ness
Et croire au monstre, tant qu'à faire !
Glasgow, Agadir ou Gabès !
Et des bains de minuit en Grèce,
Ou bien à Malaga,
Des rires et de l'allégresse,
Liberté sans tracas.
Se balader à pied dans Rome
Ou dormir à Venise !
Peu de mots pour le dire, en somme,
Petits secrets qui grisent ...
Cela n'est que luxe et confort,
Anacondas, moustiques,
Très peu pour moi ; rions-en fort !
Juste en rêve, l'épique !
A l'aventure être exposée ?
Excitants films, romans !
Changer, sans être dérangée,
De planète et de temps !
Lenaïg
***
Tout en me moquant de moi-même, qui ne suis aventurière qu'en imaginaire, j'apprécie la grande poésie voyageuse, de ceux qui sont allés parfois très loin et l'écrivent si bien sans oublier le laid ou les souffrances vécues ou rencontrées, ou alors savent créer le dépaysement en transformant un corps féminin en paysage, comme Baudelaire et Pablo Neruda, ou trouver l'imprévu juste au coin de la rue !
Petits extraits
Le matin comptait ses oiseaux
Et jamais il ne se trompait.
Le parfum de l'eucalyptus
Se fiait à l'air étendu.
Dans l'Uruguay sur l'Atlantique
L'air était si liant, facile,
Que les couleurs de l'horizon
S'approchaient pour voir les maisons.
Jules Supervielle, MONTEVIDEO, Gravitations.
Terre rapide aux rives de la route
Terre imprévue en un regard dissoute
Terre entraînée au passé par les vents
Je prends et perds tes arbres, tes vallées
Tes noirs chemins, tes villes constellées
Et tes vivants.
Le grand pays du bonheur sans mémoire
Se forme enfin sur la route où tu fuis
De l'horizon accourt la grande image
Des cieux nouveaux vont toucher mon visage
Je suis debout.
Catherine Pozzi, Très haut amour.
Aux confins du désert mojave
Vit un cactus bimillénaire,
Il a poussé sur de la lave,
Serein comme un dieu tutélaire.
A l'équinoxe de printemps,
Au temps où la terre bascule,
Les Indiens s'agenouillent devant
Toute la nuit. Et la nuit brûle
De leurs incantations vibrantes
Comme la langue d'un serpent.
De leurs voix hachées et stridentes,
Ils essaient de dompter le Temps.
De le forcer à se plier,
A refermer enfin sa courbe,
Un jour viendra, disent les sorciers,
Où le Temps, tortueux et fourbe,
Finira par être piégé
Dans cette architecture de plaintes
Et nous serons légers, légers ...
L'Eternité sera atteinte.
Michel Houellebecq, Aux confins du désert mojave, La Poursuite du bonheur.
Le soleil de la rue de Bagnolet
N'est pas un soleil comme les autres,
Il se baigne dans le ruisseau,
Il se coiffe avec un seau
Tout comme les autres
Mais, quand il caresse mes épaules,
C'est bien lui et pas un autre,
Le soleil de la rue de Bagnolet
Qui conduit son cabriolet
Ailleurs qu'aux portes du palais,
Soleil, soleil ni beau ni laid,
Soleil tout drôle et tout content,
Soleil de Bagnolet,
Soleil d'hiver et de printemps,
Soleil de la rue de Bagnolet,
Pas comme les autres.
Robert Desnos, 1942, Couplet de la rue de Bagnolet, Destinée arbitraire.
Illustrations : Désert de Mojave en Californie, Loch Ness, habitations troglodytes tunisiennes, dôme grec et chat, angle de la Rue de Bagnolet et de la Rue des Pyrénées à Paris, photos empruntées au net !
Tags : soleil, rue, bagnolet, tes, bien
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Commentaires
Bonjour Lena, me voilà hors de mon plat pays avec ta page dépaysante à souhait ! (Excuse-moi je donne dans la prose, une fois n'est pas coutume) Bonne journée à en croquer Lena ! Bizzzz jill
toi tu cumules ...pour notre plus grand plaisir !
nous allons de découvertes en découvertes.
bisous
Un vrai tour du mond dans ton billet et merci pour les extraits des "grands" !!!
Bonne journée - bisous
J'ai aimé ton poème, moi aussi, je suis plus esthète que baroudeuse et j'aime le gai magnifique !
Très jolie photo de désert aussi.
a mon tour de te faire une visite, comme toi je suis aventureuse en imaginaire, le confort a l'avantage, peut-être est-ce dù à l'âge? en tout cas j'ai aimé divaguer, errer sur la lande écossaise, me suis surprise un verre de thé à la menthe à la main. Merci.
Ce meli-melo de photos et de mots m'ont fait tourner le ciboulot, moi ton fidèle Matelot! bisous de la nuit!
Bonsoir Lénaïg, elle me plait ta page. J'aime beaucoup ton poème et ton sens de l'autodérision ! Pour ma part, partir dans un petit coin de la campagne française et y planter ma tente me semble déjà une grande aventure ! Sans doute mon côté enfant ... Dans les extraits que tu nous proposes, j'ai un faible pour celui de Jules Supervielle et son Montevideo. Je ne le connaissais pas. Et puis je fonds de plaisir en écoutant Syracuse. Cela en fait des raisons de te remercier pour ce beau partage! Bisous. Mireille
Bonsoir Lénaïg,
tes mots d'abord, qui nous emmènent aux quatre coins de la planète avec bonheur, car comme toi je ne voyage qu'en rêves (et déjà loin)
puis tes extraits choisis ... que de beautés ! Je retiens surtout celui de Houellebecq pour son mystère, puis celui de Desnos, en vraie enfant de Paris.
Gros bisous, en te remerciant pour tout cela, et de tes messages chez moi
Coucou, Lenaïg, et grand merci pour ce voyage léger auquel tu nous convies, et ces textes magnifiques que tu m'as fait découvrir. Bises.
Merci pour ta célébration personnelle et ce petit tour dans les auteurs. Je ne savais pas que certains écrivaient en vers aussi.
Bises
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J'aime beaucoup ton poème... Je ne suis pas une aventurière non plus, j'aime voyager loin mais en évitant tout risque et avec mon confort...