• LE PEUPLE DU LAC - 1/2 - Rahar

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    Les vacances étaient enfin arrivées. Les étudiants s’étaient éparpillés comme feuilles mortes au vent. Enfin, les moins favorisés ou ceux qui sont trop loin de chez eux étaient restés à la cité universitaire.

    Réunis autour de bouteilles de bière, cinq étudiants en économie avaient un débat animé. Andy l’enveloppé, surnommé « Bébé Cadum », Mirana la sérieuse, mieux connue sous le sobriquet « Bouquin », Arlette l’élégante, ou encore « Magazine », Jean le boutonneux, alias « Volcan », et Jasmin le culturiste aux longs cheveux, dit « Balèze ».

    — Mais enfin, je vous dis que mon frangin ne me prêtera pas sa bagnole.

    — Écoute Jean, dis-lui qu’on va lui offrir le lavage et le plein au retour.

    — Eh ! C’est vite dit, Bouquin, notre bourse suffit juste pour ces vacances à la mer.

    — Attend, Cadum, il ne me sera pas difficile de soutirer un supplément confortable à mes parents, étant fille unique.

    — Ouais, vive Magazine ! On ne se demande plus comment elle peut se payer ses fringues toujours à la mode… Ouille ! arrête, je plaisantais, on sait que t’as un taff à mi-temps.

    — Bon, c’est réglé, alors récapitulons. Volcan s’occupe de la tire, Bouquin et Balèze des tentes, Magazine et moi, nous nous chargeons de la bouffe et du carburant, okay ?


    *


    Le village était niché dans une dépression, au sein d’une forêt assez clairsemée. Plutôt modeste, avec sa vingtaine de cases en bois sur pilotis : il paraît que les rats des champs avaient la taille d’un lapereau. La seule gargote au bord de la route bitumée était pompeusement baptisée « Restoran t» avec le t final hâtivement peint après coup.

    — Allez commander, je vais juste soulager ma vessie là-bas.

    — Ne tardes pas trop beau gosse, sinon j’engloutis ta part.

    — Enfoiré !

    La fraîcheur de l’intérieur était la bienvenue, après le soleil pesant de la savane. Bien que grossier, l’ameublement était, sinon confortable, du moins acceptable, et les meubles polis par les milliers de touristes de passage ne présentaient plus aucune écharde menaçante.

    Le menu était plutôt varié et semblait appétissant : sanglier aux haricots, pintade aux petits pois, tranches d’anguille à la sauce tomate, écrevisses grillées nature, civet de lapin. Chaque plat accompagnait évidemment le traditionnel bol de riz. Dans ce village plutôt isolé, on ignorait la notion de dessert.

    — Dis, avec tous ces chats autour de nous, tu crois vraiment que c’est du civet de lapin ?

    — Quand bien même, le goût du chat et du lapin est quasiment le même, crois-moi ; j’en ais déjà mangé, du chat.

    — Ah ! Je me disais aussi où était passé le chat de notre voisine de chambrée.

    — Crétin ! Je ne bouffe pas de chat nourri au rat d’égout. C’était à la campagne.

    — Eh les gars, j’ai vu une amorce de piste près de là où j’ai pissé. On pourrait peut-être faire une petite excursion de ce côté ?

    — Enfin te voilà ! Quelle piste ?

    — Patron, où est-ce qu’elle mène cette piste près du bosquet ?

    — Elle mène jusqu’à un petit lac, mais personne n’y va plus depuis belle lurette : il est tabou.

    — Comment ça tabou, on est au XXe siècle que diable !

    Un homme assez âgé mangeait au fond de la salle. Il portait un costume visiblement défraîchi, la chemise était passablement élimée quoique propre, et ses pans étaient incongrûment sortis, le pantalon fatigué et délavé était ridiculement court. Il était pieds nus comme tous les habitants du village. L’homme se racla la gorge.

    — Jeunes gens, je suis le chef du village. Naguère, j’ai fais des études dans la capitale et ai effectué quelques années d’agronomie. Mais je vous parle de tradition orale, d’us et coutumes de notre région. Et la tradition rapporte des disparitions mystérieuses du côté du lac. La dernière disparition remonte à un peu plus de dix ans ; c’était un petit-neveu de la cousine de mon grand-père. On l’avait cherché pendant toute une semaine en vain. Alors je vous conseille de passer votre chemin et de poursuivre votre route.

    — Merci bien grand-père, mais ces disparitions peuvent avoir des tas d’explications. Si je ne m’abuse, la forêt était beaucoup plus dense, en ces temps-là ; certains auraient été la victime de bêtes sauvages, ou encore égarés, que sais-je ? Les connaissances d’aujourd’hui peuvent expliquer les superstitions d’hier.

    — Ça c’est vrai. Nous n’allons y jeter qu’un coup d’œil d’ailleurs ; nous avons quatre heures de route mais on peut encore flâner un peu.

    — Faites à votre guise, jeunes gens, mais je vous aurais prévenu. Je suis le chef de ce village, mais je n’ai aucune autorité sur vous qui ne faites que passer.

    — Euh … dites les gars, ne ferions-nous pas mieux de poursuivre notre route ?

    — Allons Bouquin, ce sera juste un petit détour, cela ne nous retardera pas. De toute façon, nous sommes nombreux.

    — Hé hé ! « Détour mortel » !

    — Arrête Cadum, ce n’est pas drôle.


    *


    La piste sinueuse était praticable, même sans 4x4, mais la voiture tanguait désagréa­blement parfois. Quoique mangée par la mauvaise herbe, la piste restait discernable et on ne pouvait se perdre. La forêt fit progressivement place à de hauts arbustes en fleur. Les vacanciers débouchèrent brusquement dans une vaste clairière, le lac aux eaux étonnamment limpides était devant eux. D’une vingtaine de mètres de largeur, il s’étalait sur une trentaine de mètres de long. Une petite chute encadrée par des lianes et des orchidées l’alimentait. La vision enchanteresse coupa le souffle des jeunes gens.

    — Waouou ! Que le grand cric me croque ! C’est le paradis !

    — Ça me laisse baba !

    — Moi les potes, je vais piquer une tête. Qui m’aime me suive !

    — Arrête Jasmin, il peut y avoir des crocodiles.

    — Meuh non, froussarde, les crocos sauvages sont bien plus au nord et aussi loin à l’ouest.

    Déjà en short, Jasmin sprintait vers le lac, alors que Jean et Arlette achevaient de se désha­biller. Andy se débattait encore avec ses fringues, et la pusillanime Mirana hésitait encore. D’un crawl puissant et élégant, Jasmin s’éloignait de la rive.

    — Eh ! Où est passé Balèze ?

    — Ben je l’ai vu plonger là-bas.

    — Même lui ne peut tenir une minute. Où a-t-il plongé précisément ?

    Pendant vingt minutes, ils plongèrent jusqu’à leur limite. La limpidité extraordinaire de l’eau permettait une bonne vision jusqu’à six mètres, mais point de Jasmin. De toute manière, comment un si bon nageur aurait-il pu couler si soudainement ? Hydrocution ?

    — Allons prévenir les villageois.

    — Non ! On doit le retrouver coûte que coûte.

    — Voyons, Magazine, on a fait ce qu’on a pu, allons chercher de l’aide.


    *


    — Je vous avais prévenus, jeunes entêtés.

    — Mais il n’était pas seul, grand-père.

    — Certains disparus n’étaient pas seuls non plus. Mais baste, organisons-nous. Qu’on coupe un tronc de bananier et que quelqu’un apporte une aiguille avec du fil blanc enfilé dedans.

    — Mais pourquoi faire ?

    — Jeune fille, nous avons nos traditions, et malgré le progrès, elles s’avèrent précieuses dans bien des cas. Il est malheureux que vous, les citadins, ne les considériez plus. Et sortez la vieille pirogue.


    *

     

     

    Rahar

    A suivre !

     

     

    Illustration :

    Vieille pirogue, 8 février 2005, photo de Stéphen Gueble

    www.photos.linternaute.com

     

     

     

     


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  • Commentaires

    1
    Jeudi 15 Mars 2012 à 18:45
    jill-bill.over-blog.

    Bonsoir Rahar... Ces vacances comment bien si j'oser dire !  Où est passé Balhèze ???  Mystère et boule de gomme.... A suivre !  Bonne soirée à vous deux ! Bizzz jill

    2
    Jeudi 15 Mars 2012 à 19:54
    Lenaïg Boudig

    Coucou Jill, et merci beaucoup, Rahar, pour cette histoire, que tu appelles "ancienne" mais qui est captivante pour qui ne la connaît pas ! Bises à vous deux.

    3
    Vendredi 16 Mars 2012 à 05:01
    Marie-Louve

    Balèze ! C'était un gros chat noir, un dangereux schizophrène qui hallucinait en nous transformant dans sa cervelle comme de vulgaires souris. Allons! je laisse ce Balèze à sa place dans mon histoire et je reviens sur la partie no 1 du texte de Rahar. Je reviendrai déguster ce récit dès le réveil demain. Minuit ! Si je veux conserver mes deux pantoufles, je cours dans mon lit. :-)) Bises.

    4
    Samedi 17 Mars 2012 à 17:50
    Marie-Louve

    Je savais bien que Balèze deviendrait le clou de ce récit. Mon Balèze jouait toujours le matamore. En lisant, je me suis souvenie de LGDM. Mais je le savoure encore, en ne laissant aucun détail m'échapper. " Ce grand cric me croque " Cousu de fil blanc,.. J'adore les bouquets dhumour piqués un peu partout sur les lignes du récit. Bisous. Bon WE !

     

    5
    Samedi 17 Mars 2012 à 19:19
    Lenaïg Boudig

    Coucou Marie-Louve ! Oh, au fait, moi je prendrais bien : écrevisses grillées nature et bol de riz ! Bravo pour la carte du restaurant, Rahar, tous les plats sont bien appétissants mais si j'ai le choix, on ne me fera plus manger de lapin, hin hin (mais j'en ai mangé, je sais que c'est délicieux), et comme je préfère ne pas en manger, je ne risque pas de manger du chat, na !

    Bizzz à toi Marie-Louve, et à Rahar !

    6
    Dimanche 18 Mars 2012 à 15:05
    Marie-Louve

     On laisse la carte du menu sur la table et on ne prend que les bulles. Pas de lapins posés et  pas d'anguilles sous roches pour nous. Ce Rahar me fait divaguer et j'adore ses récits. Bon dimanche et bisous pour tous.

    7
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:35
    Mona															l

    Eh bien je suivrai! les échardes , où sont elles passées? dans les mains et les popotins des hôtes précédents? tu me feras toujours rire Rahar! Un triangle des Bermudes malgache? bisou Rahar! et lena bien sûr!

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