• FUTUR ANTERIEUR ALTERNATIF - RAHAR (Science-fiction)

    http://nuage1962.wordpress.com/2012/07/13/formules-mathmatiques/

     

    Je crois que ma vie est gâchée. Je suis à la tête du département de physique des particules, et on aurait pu dire que j’ai une situation des plus enviables, d’autant plus que je suis préssentie pour le Nobel. Je vais suivre la lignée des Mary Archer, des Herta Ayrton, des Marie Curie et des Ann Nelson. Mais la réussite professionnelle n’est pas tout.

     

    Subal n’est pas un mauvais mari, mais il n’est pas facile de vivre avec un simple épicier qui ne comprend rien de la mécanique quantique ; il n’y a aucun échange intellectuel valable. En un mot, Subal est bien terne. J’aurais dû accepter la demande d’Adul, il y a vingt-cinq ans ; il avait une réputation de coureur de jupon, mais je suis persuadée que j’aurais pu le tenir en laisse. Il est devenu médecin, je crois.

     

    Ma fille Dorothée m’a déçue. J’avais espéré qu’elle suivrait mes pas et serait devenue une brillante physicienne, ou à la rigueur une architecte. Mais elle a préféré se tourner vers la musique, même pas classique, encouragée par son père. Je n’ai jamais assisté à un de ses concert de R&B — je crois qu’elle m’en a voulu à mort —, et ce n’est qu’incidemment que j’ai su qu’elle a sorti son troisième album. J’ai aussi entendu dire qu’elle se drogue.

     

    Anil quant à lui, n’a pas la bosse des maths, ni même le sens commercial. Il s’est mis en tête de devenir styliste dans un créneau plutôt déjà encombré. Autant dire qu’il va devenir un raté. Encore heureux qu’il ne soit pas homo, ou pire, transsexuel. Comme le disent ses copains, c’est le der, Anil.

     

    Même si j’avais voulu tenter quelque aventure, les hommes ne dépassent jamais le premier rendez-vous, dès qu’ils savent qui je suis et quel est mon rang. Ils prétendent que je suis trop froide, hautaine et supposent alors que je suis frigide, ce qui est naturellement faux, je suis passionnée dans l’intimité.

     

    Une idée a alors trotté dans ma tête, au point de devenir une obsession. Il y a un an, j’ai assisté à une conférence du professeur Espaa Seutan, prix Nobel de physique, portant sur la régression temporelle des particules bombardées au laser. Ainsi, le voyage dans le temps n’est qu’une question d’échelle… et de moyens, bien entendu.

     

    J’ai alors élaboré un projet secret que j’ai dissimulé dans le programme de recherche officiel. Je dispose donc des moyens colossaux de l’institut, avec son accélérateur de particules dernier cri. Mes collaborateurs, qui comprennent surtout des doctorants, ne connaissent que des portions de mon projet et n’ont aucune idée de la finalité de mes travaux.

     

    J’ai synthétisé seule les résultats de chacun pour construire mon appareil. J’ai amené en douce une souris blanche pour le test. Je l’ai mise dans la cabine de transfert, et je l’ai envoyée vingt-cinq ans dans le passé. Elle a disparue. Il y a de très fortes chances que ça ait marché. Le site actuel était une lande de bruyères, en ce temps-là. Il ne me sera pas difficile de retrouver la souris.

     

    Je suis décidée à refaire ma vie en faisant les bons choix. Certains physiciens ont émis l’hypothèse qu’un voyage dans le passé créerait une fourche temporelle, car ce qui a été ne peut s’effacer. Je me décide et j’entre dans la cabine.

     

    *

     

    Je me suis mariée avec Adul. Maintenant je suis heureuse, avec un mari charmant et séduisant, aussi intelligent que moi. Alors que ma lune de miel avec Subal s’était déroulée à deux-cents kilomètres — dans une autre ligne temporelle —, Adul et moi sommes allés à Capri. Toutefois, je ne suis pas devenue professeur, j’ai juste obtenu mon doctorat. Par contre, Adul est devenu un chirurgien renommé. L’argent coule à flot, je baigne dans le luxe. Bien entendu, je ne suis qu’un chef de service dans un département de la recherche, mais ça m’est égal.

     

    La rumeur disait vrai, Adul n’est qu’un sale dom Juan. Trois ans plus tard, ses frasques finissent par défrayer les chroniques. Je suis tombée de haut. Ce salaud prétextait des opérations délicates et longues pour me tromper allègrement. Il ne voulait pas non plus avoir d’enfant. J’ai dû demander le divorce… qu’il m’a accordé, goguenard et bon prince. Il m’a humiliée en me jetant à la face qu’il ne voulait pas d’une minable chef de service sans ambition.

     

    Pendant un an, j’ai vécu dans la brume, un brouillard de douleur et de déception. Les choses sont allées à l’encontre de mon rêve. Dieu merci, je n’ai pas sombré dans l’alcoolisme, mais je suis tombée dans la dépression. Je ne vis plus que de mon traitement de chercheuse, mon train de vie s’est détérioré. Souvent, après le travail, j’entre dans un salon de thé pour m’accorder une petite douceur, peut-être pour mettre un peu de rose dans mon cauchemar.

     

    Un jour, un homme s’est approché de moi. En levant les yeux, j’ai vu Subal. Le salon de thé lui appartient. Nous avons parlé… pendant des heures. Je ne suis rentrée qu’à vingt heures. Chaque soir, nous nous retrouvons à une petite table et nous parlons. Subal sait écouter et réconforter. Il ne pige que dalle en physique, mais il est cultivé et drôle… et philosophe. Il m’a poussée à devenir professeur, ne pas brider mon ambition. Six mois plus tard, nous nous sommes mariés. Une fille est née, puis un garçon.

     

    Dorothée est devenue une excellente infirmière très appréciée. Je sais que j’avais voulu qu’elle devienne une physicienne, ou une mathématicienne, compte tenu de ses aptitudes, mais je l’ai finalement soutenue. Subal m’a patiemment expliqué qu’il n’est pas bon d’aller à l’encontre d’une vocation, et l’argent et la renommée n’ont qu’une importance relative. Je goûte la joie d’une relation mère-fille complice.

     

    Anil poursuit ses études d’architecte-paysagiste. Je trouve ses œuvres aussi beaux que les gerbes de particules que j’étudie à l’institut. Il s’est fait la main sur notre jardin. J’ai ainsi pris conscience de la beauté de la nature. À mon étonnement, j’ai trouvé qu’elle m’aide à me déstresser et Subal et moi nous retrouvons souvent le soir dans l’environnement apaisant du jardin.

     

    J’ai été injuste, je n’ai pas vu la profondeur d’esprit de mon mari, j’étais enfermée dans ma tour d’ivoire de scientifique intellectuelle. J’ai considéré mes enfants comme des objets malléables qui devaient se plier à ma volonté. Je ne les ai pas traités en êtres humains doués de volonté propre. Il aura fallu que j'invente une machine à remonter le temps pour en avoir la conscience.

     

    En y pensant, je crois qu’on ne peut pas vraiment modifier l’Histoire : le passé se corrige lui-même en nous proposant les mêmes situations, juste pour voir comment nous nous améliorons. Le bonheur ne dépend finalement que de notre comportement et de notre état d’esprit.

    RAHAR


  • Commentaires

    1
    Lundi 9 Juin 2014 à 18:20

    Bonsoir Rahar... Mari, enfants pas sur la même longueur d'ondes... tant pis, tant mieux, chacun sa vie d'adulte... et ma foi ils ont choisie une belle profession... même si maman avait d'autres ambitions et vive l'épicier du coin ! Merci.... jill ;-)

    2
    Lundi 9 Juin 2014 à 18:34

    Coucou par ici, Jill, merci beaucoup de nous avoir rejoints. Si Rahar nous a encore entraîné loin dans le fantastique et la science-fiction, si son héroïne a réussi à repasser dans son passé pour le changer et voir son entourage ensuite sous un angle plus juste et moins égoïste, je crois bien que c'est le narrateur qui s'exprime, avec sagesse, dans le tout dernier paragraphe ! Bizzz à toi, bizzz à Rahar !

    smile

    3
    Lundi 9 Juin 2014 à 18:36

    Oh puis zut pour les fautes ! On n'en finirait pas s'il fallait les corriger dans ses comm's ! Bon, j'y vais : Rahar nous a encore entraînés dans le fantastique et la science-fiction !

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    4
    Lundi 9 Juin 2014 à 18:38
    josette

    si jeunesse savait si vieillesse pouvait que de l'imparfait sans futur !

    bravo et bizzzzzzzzzzzzzzz

    5
    Lundi 9 Juin 2014 à 18:51

    Oh, bien vu et bien dit, Josette ! Contente que tu nous rejoignes aussi, gros bisous !

    wink2

    6
    Mercredi 11 Juin 2014 à 18:21

    Heureusement elle n'a pas loupé sa seconde chance

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