• ÉTERNITÉ À GOGO - Rahar !

    Non, ce n'est pas le retour de Klotz (pas encore), c'est un nouveau personnage qui entre aujourd'hui en scène, machiavélique à souhait (ou plutôt machiavélique dans ses souhaits).

    Je préviens tout de suite : il y a une morale, mais bien cruelle !

    Machiavélique est l'auteur de ces lignes aussi, décapante nouvelle qui n'est pas à conseiller aux lecteurs et lectrices en recherche de romances ou d'histoires à l'eau de rose.

    Merci beaucoup, Rahar !

    Note de Lenaïg

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      Je suis l’un des derniers alchimistes. Enfin, je crois. En cette époque de la technologie, la plupart d’entre nous avons notre blog sur le net. Bien entendu, un profane ne se douterait jamais de notre nature en lisant les phrases à double sens. Je dois cependant concéder qu’il y a des énergumènes rétrogrades, technophobes ou suffisants, pour chercher la pierre philosophale sans aide et dans le plus grand secret paranoïaque.
      Qu’est-ce qui m’a amené vers ce que les gens ordinaires appellent une discipline surannée, non scientifique et relevant du fantasme ? À quinze ans, j’ai été témoin d’un prodige que la science officielle ne peut expliquer… ou du moins pas encore. Un vénérable vieillard (à l’époque, pour moi un cinquantenaire était déjà un vieillard) a transformé un vulgaire dollar d’argent en or en le saupoudrant d’une substance rougeâtre. Je l’ai vu, de mes propres yeux vu, dans le miroir de surveillance d’une petite supérette des années 80. Je venais justement de lire un livre poussiéreux sur Fulcanelli, trouvé dans le grenier de grand-père. Évidemment, l’auteur de l’ouvrage avançait des théories plus fumeuses les unes que les autres et n’expliquait finalement rien… à moins que je n’eus été bouché. À la fin, le lecteur avait le sentiment diffus que l’alchimie n’était qu’une vaste rigolade pleine de rites saugrenus et superstitieux. Mais ce que j’ai vu a complètement changé le cours de mon existence.
      Comment se fait-il qu’il existe encore des alchimistes sans que l’on s’en rende compte ? Il est tout à fait clair que l’alchimie n’est pas un métier, on ne peut en attendre de résultat qu’après bien de décennies. En outre, je n’ai jamais entendu dire qu’un alchimiste était devenu riche grâce au Grand Œuvre… Mais je n’y mettrais pas ma main au feu, qui sait vraiment, un expert est bien capable de donner le change. Elle est donc considérée plus comme un hobby qu’une activité à plein temps. Je connais un alchimiste qui est boucher, un autre qui est avocat, et un autre encore qui est styliste. Moi-même, je suis laborantin dans une firme pharmaceutique.
      De fait, la possession d’une maison est indispensable : l’alchimiste doit travailler des années dans un laboratoire sans être inquiété par une éventuelle expulsion par un quelconque propriétaire. Pour ma part, je possède une cave, distincte de celle à vin, accessible uniquement par une porte dérobée. J’ai dû me coltiner en secret tout le matériel nécessaire, de la verrerie jusqu’à l’athanor. J’ai même pris des cours auprès d’un maçon pour fabriquer mon propre four.
      À mes vingt cinq ans, j’ai obtenu la première matière noire. Je m’en suis bien vanté (en code) sur mon blog. Mais un petit pisse-froid a douché mon triomphe en me rappelant sans tact qu’un vrai alchimiste se devait d’être modeste et humble, et que cette matière noire n’était pas un but en soi. J’ai bien appris que l’alchimie était plus une recherche spirituelle, mais le commentaire acerbe a quand même égratigné mon ego.
      J’ai pu contempler la matière blanche argentée à mes trente ans. Comme j’ai été échaudé, j’ai modéré mon enthousiasme avec un post assez laconique, et je vais m’attaquer à la seconde matière noire. Le même grincheux a fait le rabat-joie en me conseillant d’insister un peu plus sur le côté spirituel. Cela m’a bien sûr indigné et j’ai bouilli (mais in petto quand même). Je vais t’en donner, moi, du spirituel. Déjà que j’ai été chaste les derniers mois de la préparation.
      Au fait, la majorité des alchimistes sont célibataires. C’est comme qui dirait plus une nécessité qu’une tradition. En effet, les contraintes de la quête rendent très difficile l’accomplissement normal du devoir conjugal : outre les périodes obligatoires d’abstinence qui peut durer des mois (c’est le rite qui l’oblige, car c’est une quête essentiellement spirituelle, n’est-ce pas), certaines étapes exigent une énergie vitale que toute fornication diminuerait. Car il faut choisir entre la recherche de l’amour (qui n’est pas garanti, au vu du taux de divorces constaté) et l’accomplissement du Grand Œuvre. Pour ma part, j’ai dû renoncer à quelques possibilités (évidemment sans assurance partielle ou tout risque) pour me consacrer à ma passion. Quand j’aurais atteint le succès, il sera toujours temps de penser à m’établir. Il paraît que les cheveux gris ont du charme.
      À la quarantaine, je n’ai obtenu qu’un amas grisâtre glomérulé, bien loin de la seconde matière noire attendue, malgré des années de dur labeur. Une collègue a eu pitié de moi et m’a transmis sa véritable identité, ainsi que son adresse. Bulle d’Or était le pseudo de Josiane Balle-Ascot, domiciliée 22 rue des Mangues.
      Il est très rare qu’un alchimiste aide directement un autre, l’activité étant éminemment personnelle. On risque d’altérer la personnalité de celui-ci par son empreinte personnelle, ce qui n’est pas du tout bénin ni souhaité. N’importe, je ne tiens pas à faire du sur-place et passer ma vie à transmuter du plomb en pâte à modeler. Il est vrai que bien de chercheurs ont achevé leur vie sans avoir pu atteindre leur but ultime, mais je ne tolèrerais pas en faire partie.

     

     

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      Josiane Balle-Ascot prétend avoir la quarantaine, mais je lui donnerais dix ans de plus. Sa passion a dû la vieillir prématurément. Néanmoins, elle a gardé de beaux restes. Mais je ne suis pas là pour marivauder.
      D’emblée, elle m’assène mes quatre vérités… Enfin, selon elle. Je n’en mène pas large, et je dois faire bonne figure, coûte que coûte, et avaler stoïquement toutes les couleuvres. Il en ressort que je manque singulièrement de spiritualité pour surmonter l’obstacle de l’agrégation philosophale de la matière brute. Mon lien au monde inférieur est trop fort, à cause de mon esprit un peu trop matérialiste. Eh quoi ? Je vis encore sur Terre et je trouve tout à fait normal de vouloir profiter du confort et du luxe, et pourquoi pas un peu de superflu. Je m’efforce d’être tolérant, et j’évite donc de critiquer les ascètes, les écolos, et les déchettivores. Quant à l’au-delà, j’y penserai quand j’y serais.
      Josiane a donc achevé le Grand Œuvre. Elle me montre fièrement sa pierre philosophale, un gros bloc tendre rouge de projection qui sert à transmuter le métal vil en or. Elle s’en détourne rapidement, comme avec dédain, car évidemment ce n’est qu’un sous-produit de l’opération finale. Je réprime avec effort mon excitation. Je comptais évidemment sur la découverte de la pierre philosophale pour enfin améliorer ma terne vie. Je ne peux escompter sur ma pension de laborantin pour accéder au confort et au luxe dont j’ai rêvé.
      — Mon cher Balthazar Peeksew, je vais vous montrer maintenant l’aboutissement matériel de toutes ces dures années de recherche et de labeur. Bien évidemment, vous ne pouvez avoir une idée tangible de mon avancement spirituel.
      — Et vous pensez Josiane que je pourrais aussi y arriver ?
      — Mais sans aucun doute, mon cher. Je suis là pour vous aider pas à pas. Tenez, voilà le fameux élixir.
      Je reste sans voix devant le petit flacon de liquide aussi limpide que de l’eau. C’est donc l’élixir de longue vie, la porte vers l’immortalité. Je ne peux m’empêcher d’être envieux et frustré, Josiane ne me cèdera jamais un bout de sa pierre philosophale, ni une goutte de son élixir, cela ne se fait pas.
      Je rentre, un brin morose et découragé. Combien d’années vais-je encore perdre en tâtonnements ? Je suis maintenant conscient de mes défauts, mais dans combien de temps pourrais-je m’en débarrasser ? Et aurais-je vraiment le courage de changer ? Je considère le temps qu’il me reste à vivre. Je pense à cette douairière de Josiane ; est-elle heureuse après tant de sacrifices ? Ce qui m’a le plus choqué était sa réponse quand je lui ai demandé quand elle allait boire son élixir. Elle ne s’en souciait pas, et qu’elle n’y goûtera probablement jamais, cela n’avait aucune espèce d’importance. L’insensée !
      J’ai pris une décision terrible. Ce soir, je vais m’introduire dans le laboratoire de Josiane. Tout ce trésor qui ne profite à personne me fait mal au cœur. La vieille fille n’a pas besoin d’or alchimique, sa confortable rente lui suffit.
      Il n’a pas été difficile de forcer la porte de la cave dont l’accès était hors de la maison. Celle-ci est une vieille bâtisse datant de l’Inquisition. La porte secrète du labo est du même principe que la mienne, je ne suis pas dépaysé. Je rafle le bloc rouge de pierre philosophale. À moi la belle vie, maintenant. D’après mes sources, à peu près un centième du stock d’or mondial provient de la transmutation. Je vais augmenter un peu ce chiffre, car je m’empare maintenant de l’élixir de longue vie.
      Je ne m’attendais pas à ce que le laboratoire soit protégé par un système d’alarme sophistiqué. Josiane me surprend le précieux flacon en main. Sa main par contre, tenait un méchant pistolet… que je suppose chargé et armé.
      — Vous m’avez fait peur, Balthazar. Mais qu’est-ce que vous faites là ? Mais… vous êtes en train de me voler !
      — Ma chère Josiane, je ne fais que vous débarrasser de menues choses que vous méprisez.
      — Mais Balthazar, vous ne pouvez les obtenir que grâce à vos propres efforts, et quand vous y parviendrez, vous verrez que vous n’y attacherez plus d’importance…
      — Vous êtes insensée, pourquoi ne pas profiter de la vie, tant qu’on est ici-bas ?
      Elle avait baissé son arme et son bras ballait. J’ai posé nonchalamment ma main sur un bâton qui devait servir à touiller dans le chaudron. Brusquement, je lui assène un coup à la tête. Elle pousse un cri et s’abat, heurtant du crâne le bord de la paillasse. Je constate une trace de sang. Je me fige. Je voulais seulement l’étourdir et filer avec mon butin.
      Josiane est morte, le cou brisé. Je panique… mais juste un moment. Il est très difficile, sinon impossible d’accéder au laboratoire sans connaître sa porte secrète. Personne ne retrouvera l’alchimiste.
      L’enthousiasme me submerge. Je sais, je n’ai pas achevé moi-même le Grand Œuvre, mais les années avancent et je suis de nature assez impatient. La vie est mal faite, si seulement l’élixir passait avant la pierre philosophale, on aurait alors tout le temps d’obtenir celle-ci. Je fabriquerai de l’or, mais avec modération. J’aurai tout mon temps pour bâtir une fortune, car désormais, avec l’élixir, je serai immortel… enfin, je pourrais espérer au moins une dizaine de milliers d’années.
      J’ouvre le flacon et j’avale le fameux élixir. Cela n’a aucun goût particulier, on dirait de l’eau bien ordinaire. Soudain, je ressens une sorte d’énergie irradiante. Une dent qui m’agace depuis longtemps par une douleur sourde, cesse de m’importuner ; une tendinite que j’ai eu à force de manipuler la souris s’est résorbée ; ma faiblesse respiratoire s’est envolée.
      Dans un cri d’exaltation, j’ai projeté le flacon vide vers le mur. Et je regrette mon geste puéril : un carrelage du sol se dérobe sous moi. Je tombe dans une sorte de toboggan lisse… et j’atterris sur une table de pierre lisse, cinq mètres plus bas. Puis un carcan métallique s’abat sur moi, m’emprisonnant la poitrine. J’ai dû enclencher accidentellement un piège, ancien peut-être, datant de l’Inquisition, mais toujours fonctionnel.
      La pièce a les dimensions du labo au-dessus. Je vois divers instruments de torture le long des murs. Mon carcan retenu par des ressorts (que je ne peux atteindre) aux murs, n’est pas en fer, mais en bon acier, probablement de Tolède, et ne rouillerait pas avant des siècles, voire des millénaires dans ce réduit soustrait à l’influence des conditions extérieures. La construction est solide, la zone n’est pas sismique, cette oubliette peut rester intacte longtemps.
      Je n’aurai pas le soulagement de mourir d’inanition ou de soif : à la dose extrême que j’ai prise, l’élixir me dispense de manger ou de boire, sauf pour le plaisir : si je peux avancer une hypothèse scientifique, je dirais que les cellules de mon corps vont tirer leur énergie de celle libre du vide imprégnant tout l’univers, en transmutant éventuellement une partie en matière pour maintenir mon intégrité physique.
      Je m’époumone en vain, le plafond est épais… et le labo est bien sûr secret. J’ai entendu dire qu’au Pérou les prisonniers qui sont mis au trou (littéralement un trou de quatre mètres carrés creusé dans le roc) devenaient fous si on les y oubliait un peu trop longtemps. Malgré ma force de caractère, je crains de le devenir dans pas longtemps, sans personne à qui parler, sans activité pour maintenir mon mental. Je ne serai plus humain dans quelques siècles, alors que je serai toujours vivant après des millénaires.

     

     

    RAHAR

     

     

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    Illustrations :

    • un rat pris au piège, 
    • Onc'Picsou plongeant dans son or 
    • les guerriers de Xian figés en statues pour l'éternité

    recueillies sur divers sites par l'intermédiaire de Google.

     

     

     


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  • Commentaires

    1
    Mercredi 13 Juillet 2011 à 08:21
    jill-bill.over-blog.

    Bonjour Lena, Rahar... Bien mal acquis ne profite pas ou alors très mal ! Voilà une belle imagination débridée... ça nous change du roman à l'eau de rose effectivement, que je ne lis jamais !  Belle journée à vous deux... Bizzzzzzzz jill

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    2
    Mercredi 13 Juillet 2011 à 09:29
    Lenaïg Boudig

    Coucou Jill, et Rahar ! Ben, moi j'apprécie modérément les histoires à l'eau de rose mais je n'ai pas l'inspiration ni le penchant pour le polar noir noir non plus (genre Jean-Christophe Grangé et ses Rivières pourpres, etc). Mais j'aime bien le ton spécial de Rahar, ses personnages originaux et sa vision particulière de ce qui est mal et ce qui est bien !

    Bien aimé ma lecture de la destinée de cet alchimiste sans scrupule et la sagesse contrastée de la figure féminine du récit, Josyane Balle-Ascot !

    Bises à vous deux.

    3
    Mercredi 13 Juillet 2011 à 21:42
    Monelle

    Un moment de lecture pendant la pause est permise je suppose ? c'est ce que je viens de faire. Voilà l'alchimiste bien puni de son crime et en plus par son larçin ... la morale est sauve !!

    Bonne soirée Léna et bon 14 juillet - bisous

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