• CLAUDINE - RAHAR

    CLAUDINE - RAHARClaudine était arrivée par une belle journée d’été éclatante comme une rose épanouie. C’était une petite boule de poils gris mêlé d’olive, au poitrail et aux bouts des pattes blancs, juste sevrée. La petite vendeuse avait raconté, ravie, que la chatte n’avait pas émis un seul miaulement durant le trajet. Je ne me souciais pas du pedigree de la créature, elle me plaisait, c’était l’essentiel.

    En attendant que la domestique préparât le panier et la litière, j’avais installé la petite créature dans mon giron ; cela l’habituerait à mon odeur, pendant que je bricolais quelque circuit sur l’établi. Elle se mit tout de suite en boule et finit par ronronner comme un disque dur antédiluvien. Je perdis toute concentration et abandonnais mon fer à souder pour caresser, attendri, cette mignonne petite chose au pelage soyeux. Je sentais sous ma main la vibration de son ronronnement de plaisir, et ne vis plus le temps passer.

    J’avais été confronté à nombre de chats, certains trop altiers pour être vraiment affectueux, d’autres bassement courtisans pour mériter le titre de compagnon, et d’autres encore qu’on pourrait juste qualifier d’estomac à pattes sans reconnaissance, mais Claudine était une chatte particulière. D’emblée, elle m’adopta. Alors que beaucoup de félins vous importunaient en n’importe quelle circonstance, étonnamment, elle agissait comme un chien, se comportant suivant mon humeur ; elle me laissait tranquille quand elle sentait que j’étais maussade ou qu’une occupation m’absorbait ; elle venait se frotter à mes jambes ou sautait sur mes genoux pour s’y lover et ronronner quand j’avais l’air sombre ou triste ; elle quémandait des caresses et des jeux quand j’étais guilleret. Son miaulement était doux, jamais impérieux ou énervant ; plus tard, je compris pourquoi.

    J’avais pris Claudine pour éliminer les souris qui squattaient mon logement et ponctionnaient mes provisions, j’en avais assez de recoudre les trous du sac de riz, de voir de petites crottes dégoûtantes sur les étagères et de sursauter quand l’une d’elles filait comme une flèche vers son trou. Après quelque temps d’entraînement, Claudine devint une redoutable chasseresse, rapide comme un guépard. Elle n’était pas comme Miou, un chat tigré qui me rapportait fièrement le produit de sa chasse : souris, araignée, blatte, lézard, elle avait la délicatesse de manger dans son coin et d’emmener dehors, au fond du jardin, ce qu’elle ne pouvait finir. Je me rappelle Raô, une bâtarde de siamois, une sèche duchesse, qui condescendait parfois à me gratifier de l’arrière-train d’un rongeur, comme une suzeraine accorderait en faveur ses restes à son vassal. Jamais Claudine n’avait fait montre d’obséquiosité ou de flatterie.

    Après quelques mois, je dus me rendre à l’évidence : Claudine était une chatte naine, ce qui expliquait sa voix si douce. Je ne l’en aimais que plus fort. En vérité, j’aime les petites choses, les miniatures, comme les bonsaïs par exemple, ainsi que les roses et les bambous nains. L’animal avait manifestement compensé sa petitesse par une intelligence plus vive et une empathie quasi humaine. Parfois, elle grimpait à un bout de l’établi et restait là, tranquille, m’observant avec intérêt souder quelque composant. Je n’aurais pas la prétention de dire qu’elle essayait de comprendre ce que je faisais, mais c’était l’impression que l’on avait. Jamais elle n’avait tenté de jouer avec le fil électrique, comme si elle savait d’instinct que c’était dangereux, alors qu’elle n’hésitait pas à poursuivre un bout de ficelle quelconque.

    Quand j’étais au lit avec un livre, Claudine me rejoignait et s’accroupissait sagement pour contempler les pages noircies par des signes qu’elle ne comprenait sûrement pas. Le livre fermé, elle me jetait un bref regard et s’en allait rejoindre son panier après avoir reçu une caresse. Les autres chats que j’avais eus insistaient pour dormir au moins à mes pieds, ce qui était contre les règles.

    Avez-vous déjà observé un chat près d’une fenêtre ? Ça reste immobile comme une statue en contemplant d’un air blasé et dédaigneux les activités humaines du dehors. Seul le vol d’un oiseau pourrait peut-être entamer cette impassibilité irritante. Claudine était curieuse comme une pipelette fouineuse et avide de potins, elle ne se satisfaisait pas de ses escapades, qui s’avéraient plutôt brèves en général. Je suppose que ce qu’elle voyait par la fenêtre différait de ce qu’elle éprouvait au ras du sol. Quelques fois, elle me jetait un regard, comme pour me dire qu’il se passait quelque chose d’intéressant. Honte à moi, je n’avais jamais daigné me déplacer pour voir ; peut-être y avait-il vraiment eu un incident d’intérêt en ces occasions, je ne le saurais plus.

    Adulte, Claudine était restée très joueuse. Une balle de ping-pong la mettait en transe, un bout de chiffon qui s’agitait la met dans tous ses états, de simples doigts qui bougent suffisaient à la fasciner. On ne pouvait pas dire qu’elle était rusée comme un renard, elle était intelligente ; nullement entêtée comme une mule, elle savait obéir, quoiqu’en ronchonnant ; elle n’était jamais collante comme une sangsue, elle savait interpréter une attitude et agir en conséquence.

    Beaucoup de félins ont un caractère versatile, affectueux et câlin l’instant d’avant, pour devenir distant le moment d’après d’une manière imprévisible, soufflant le chaud et le froid. Claudine semblait toujours montrer un caractère égal, le plus souvent enjoué. Je n’ai jamais retrouvé ce trait chez un autre chat.

    Claudine n’avait pu atteindre un âge vénérable, un orage avait abrégé sa vie. Un soir, elle était sortie et avait été surprise par la pluie. Elle était revenue avec une pneumonie. Je n’avais pas jugé opportun de déranger un véto en pleine nuit. Je n’avais pu que constater sa mort au matin. Jamais je n’oublierai cette chatte si extraordinaire.

    RAHAR

    Illustrations :
    * chaton : http://felineaddict.e-monsite.com/pages/adoption/l-arriver-du-felin.html
    * portrait de l'écrivain Colette par Jean Texcier 1926 : http://pages.videotron.com/feliweb/Sec_culture/s_humain.htm

    * chat à la fenêtre : Chat noir à la fenêtre. Constantin Korovine - 1902
    echos-de-mon-grenier.blogspot.com

    * Livre - La Maison De Claudine - Colette - chapitre.com


  • Commentaires

    1
    Victoria
    Jeudi 21 Août 2014 à 21:48

    Attends, ce n'est pas Rahar qui a écrit ce texte ! C'est un extrait de Colette ? Hé ben! chat alors. Mais cette chatte est le portrait de mon petit Crevette mis à part que le mien parlait ( il parlait chat) mais  il me répondait et savait tenir une conversation.

    2
    Jeudi 21 Août 2014 à 21:58

    Ayant eu des chats, chattes plutôt c'est un texte qui me parle..... merci, JB

    3
    Jeudi 21 Août 2014 à 22:05

    Coucou Jill et Victoria. Si si, c'est bien Rahar qui a écrit cette jolie page sur sa chatte Claudine. Romancé ? Sans doute mais je ne doute pas que ce soit aussi du vécu. Là, le personnage de Rahar n'est pas un écrivain, mais Rahar, lui, l'est ! Bizzz à vous deux !

    4
    Rahar
    Jeudi 21 Août 2014 à 22:52

    J'ai oublié un petit détail : Claudine était très territoriale et possessive, à la limite xénophobe. Si par exemple quelqu'un en dehors de la maisonnée, serait-ce même Victoria, essayait de la prendre pour la caresser, elle sortait les griffes. De toute manière, une quelconque blessure n'aurait pas été grave, car je panse et donc j'essuie... comme le dirait Descartes.

    5
    Jeudi 21 Août 2014 à 23:13

      kiss  

    6
    Victoria
    Vendredi 22 Août 2014 à 04:14

    Alors là mon Rahounet tu  mes pattes (de chat). Je ne te connaissais pas ce côté romantique. 

    Serait-ce que tu ne l'exerces qu'envers les animaux ? En tout cas très beau textecool

    7
    Vendredi 22 Août 2014 à 07:27

    Un très beau texte qui me touche particulièrement. Je pense à mes chats, ceux qui m'ont quittés malades. Je me souviens de chacun, je ne peux les oublier. Bises

    8
    Rahar
    Vendredi 22 Août 2014 à 08:13

    Les animaux sont souvent de meilleure compagnie et plus fiables que les humains

    9
    Victoria
    Vendredi 22 Août 2014 à 08:37

    Réponse aussi sèche qu'inutile.

     

     

    10
    Vendredi 22 Août 2014 à 08:41
    Eglantine Lilas

    ce texte est magnifique et j'ai cru moi aussi que c'était un texte de Colette jusqu'à ce que je lises tes réponses.... bon je vais posé une question sans doute idiote qui est Rahar ?

    gros bisous

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    11
    little Rahar
    Vendredi 22 Août 2014 à 09:43

    Elle était comme ça Claudine? (d'ailleurs, elle s'appelait Claudine déjà?) Dommage que je ne l'aie pas connue!! Merci de me la faire découvrir à travers ton récit! Je reconnais la mon papou attendri par l'amour des chats :)

    12
    Vendredi 22 Août 2014 à 10:26

    Bonjour Victoria, Martine, mère-grand Eglantine, Little Rahar et son papounet Rahounet :))) ! Qui est Rahar, mère-grand ? Mais un de mes colocataires de blogs depuis le début et un des plus actifs :))) ! ça alors, tu ne l'as pas encore remarqué ? C'est notre "prince" sur sa grande île lointaine (Madagascar), qui vient de se faire morigéner par maîcresse d'école Victoria pour avoir fait un commentaire d'atrabilaire ;) !

    Contente que Little Rahar ait rendu visite à son papa par ici. Ah peut-être ne s'appelait-elle pas Claudine, elle a droit à son pseudo, elle aussi :

    Bizzz à tous.

    13
    Rahar
    Vendredi 22 Août 2014 à 10:48

    Si si, elle s'appelait vraiment Claudine ; puisqu'elle a déjà rejoint le paradis des chats en 82, un pseudo est inutile.

    14
    Vendredi 22 Août 2014 à 10:53

    Alors, elle méritait bien son beau prénom.

    15
    Vendredi 22 Août 2014 à 18:24

    c'est bien dommage de perdre son chat de la sorte et quelle peine cela fait surtout que là ce chat était merveilleux, la sagesse même

    16
    Vendredi 22 Août 2014 à 22:01

    Coucou Flipperine, et un bel hommage que lui rend maintenant son maître, qui n'avait pas évalué la gravité de l'état de sa petite compagne. Bises.

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