• ÇA S'APPELLE "REVIENS !" - RAHAR

    ÇA S'APPELLE "REVIENS !" - RAHAR

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Guy d’Ondevellau écarta avec le bout de son fusil la ramure qui lui barrait le passage. Il avançait sans se presser, restant parfaitement vigilant. La veille, il avait relevé des empreintes d’un suidé sauvage dans le jardin potager du chalet. Au vu de leur profondeur, Guy estima que leur auteur devait peser pas loin de la demi-tonne. Dans cette partie de la forêt, les rares chasseurs étaient souvent confrontés à des phacochères de trois-cents à quatre-cents kilos. Ce gigantisme monstrueux était dû certainement aux conditions particulières du milieu, à la générosité de la forêt et à l’absence relative de prédateurs.

    Guy n’était pas un chasseur sanguinaire, mais il n’aimerait pas qu’un solitaire hargneux prît la fâcheuse habitude de rôder autour du chalet, sans parler des dégâts causés au précieux jardin de sa femme. Le voisin le plus proche était à plus d’un demi-mile. Ce qui l’avait décidé à traquer la bête était la taille monstrueuse de celle-ci ; sur une saute d’humeur, elle pourrait mettre à mal le petit RAV4 et il n’était pas évident pour sa femme et lui de rejoindre la civilisation à pieds. Il fallait abattre ce dangereux vagabond par sécurité.

    Généralement, les animaux restaient à l’écart des humains, et Guy n’eut pas trop de difficulté à pister le monstre : cet animal était le seul à s’aventurer près d’une habitation humaine, les traces étaient claires. Son audace venait sûrement du fait que le chalet n’était habité que quelques semaines par an. Il pourrait pousser l’effronterie jusqu’à défoncer la porte et foutre le bordel dans l’habitation.

    Guy arriva en vue de la petite falaise sans rencontrer le phacochère. La bête avait fait un crochet et notre chasseur allait suivre ses traces, quand un reflet métallique l’attira vers la falaise. C’était une petite voiture qui s’était fracassé contre un arbre. Elle avait dû rater le virage en haut, à cause fort probablement d’une vitesse excessive. Il était heureux qu’elle n’eût pas explosé.

    En approchant l’épave, Guy vit tout de suite que le conducteur était mort, l’airbag n’avait pas été suffisant pour amortir le choc. Mais le passager était vivant, quoiqu’arborant une vilaine estafilade. C’était un jeune de la vingtaine. L’accident venait probablement de se produire, à moins que le gamin ne se fût évanoui. Guy contourna la voiture et ouvrit la portière. Il détacha la ceinture du gamin encore hébété et vit que son poignet gauche était enflé et saignait.

    « Comment te sens-tu ? lui demanda-t-il.
    — Je crois que mon poignet est brisé et j’ai une entorse au pied.
    — Attends, je vais te sortir de là et t’examiner. »

    Guy ne vit pas d’autre blessure. Il s’insinua dans l’épave et déchira la chemise du mort pour avoir de quoi bander la main du jeunot. Ce fut alors qu’il constata que la manche du manteau noir du macchabée était imprégnée de sang : une balle avait traversé le gras de son triceps.

    Le chasseur se rappela le flash qu’il avait entendu avant de sortir : la supérette du bourg avait subi un holdup ce matin et les policiers arrivés presqu’aussitôt avaient blessé l’un des malfrats, lesquels avaient réussi à s’enfuir en voiture. Ils avaient raflé un butin conséquent : la recette avant le transfert à la banque. La radio n’avait pas donné le signalement des bandits, ni celui de leur voiture, mais Guy se doutait qu’il les avait trouvés. Il ne montra aucune émotion et revint bander le gamin comme si de rien n’était.

    « Je m’appelle Guy d’Ondevellau. Mon chalet est un peu plus loin, par là-bas.
    — Gard, Gard Neuman… Mon pote s’appelait Mac Habey… Vous êtes un chasseur ? Qu’est-ce qu’il y a donc à chasser ici ?

    — Oh, il y a de jolies pintades bien dodues. Mais sinon, il n’y a pas de vrai gibier à se mettre sous le canon. Les phacochères sont trop dangereux. Les chasseurs ne sont pas très attirés par le coin. D’ailleurs, cette forêt est plutôt difficile, on peut facilement s’y perdre.
    — Mais vous, vous chassez seul.
    — Bah, j’ai grandi ici, je connais bien cette forêt.
    — Vous vivez ici ?
    — Non, fit Guy en riant, ma femme et moi prenons quelques jours à l’écart de la civilisation, mais nous n’en dédaignons par pour autant un minimum de confort.
    — Donc vous avez une bagnole ?
    — Il le faut voyons, on ne rejoindrait pas la ville à pinces… Il faut te faire soigner à l’hôpital, je ne suis pas infirmier, encore moins médecin. »

    Une fois sa main bandée, Gard sortit un petit pistolet et en menaça Guy qui n’en fut pas impressionné pour un sou.

    « Drôle de façon de montrer sa reconnaissance, se contenta-t-il de jeter.
    — Je sais que vous savez… Vous allez m’aider à m’enfuir. Je veux votre bagnole.
    — Et puis tu vas me buter après.
    — Mais non, quand j’aurais votre voiture, je ne vois pas pourquoi j’aurais besoin de vous tuer… Allons… Non, non, ne touchez pas au fusil !
    — Écoute gamin, tu ne connais pas cette forêt. Il n’y a pas de lion ni de tigre, d’accord. Mais on risque de rencontrer un phacochère solitaire, ou une femelle avec ses petits, de trois ou quatre quintaux, et ton petit pétoire ne servira à rien.
    — Bon, d’accord. Vous allez enlever vos cartouches et les mettrez dans votre poche, vous aurez bien assez de temps pour charger votre carabine, le cas échéant. »

    Ouvrant la marche, Guy entraîna Gard qui claudiquait en grimaçant. Le chasseur avançait avec prudence. Il se sentait un peu frustré, le monstre d’une demi-tonne lui échappait pour le moment, contre son gré, mais il savait que la bête ne perdait rien pour attendre. Il avait d’abord un problème à résoudre rapidement.
    Après une dizaine de minutes de marche, il s’arrêta au bord d’un dénivelé et s’appuya sur son fusil en faisant face au petit malfrat.

    « Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi vous arrêtez-vous ?
    — Écoute petit, j’ai un marché à te proposer. Je veux bien t’aider à fuir, te montrer l’itinéraire à suivre pour échapper à la police et arriver sauf à la frontière, contre le butin.
    — Non, mais vous êtes dingue ! Vous, les prétendus honnêtes gens, n’avez pas le cran de faire ce que nous faisons, et cependant, vous n’hésitez pas à vous approprier le produit de la sueur de notre front.
    — Oh, moi ce que j’en dis… Mais réfléchis bien. Je t’ai amené tout au cœur de la forêt. Tu peux me tuer, ça m’est égal, mes enfants sont déjà grands et ma femme n’a aucun souci. Mais tu ne sortiras pas vivant de cette forêt, tu tourneras en rond jusqu’à épuisement. Puis la faim t’accablera, tu ne sais pas quels fruits, quels champignons sont comestibles, tu finiras par rencontrer un monstrueux phacochère hargneux… Crois-moi, ta vie ne sera pas cher payée. Penses-y.
    — Et pourquoi t’écouterais-je ? Avec la bagnole, je saurais me débrouiller.
    — Et tu suivras les routes qui te mèneront directement aux flics. Tu ne connais pas les chemins qui peuvent les contourner.
    — Et tu accepterais de m’accompagner jusqu’à la frontière ?
    — Bah, le butin vaut bien ce détour, pour moi. »

    Gard prit le temps de réfléchir. Il ne pouvait pas tuer le chasseur à ce stade. Il était un citadin et était incapable de se débrouiller seul dans cette forêt, il ne savait même pas s’orienter. C’était vrai que sa vie valait beaucoup plus que ce pognon. Mais ce Guy ne perdait rien pour attendre.

    « C’est d’accord… Tenez, fit-il en sortant deux paquets de son manteau, et que ce fric vous étouffe !
    — Tu es raisonnable, ricana Guy en attrapant le butin, je ne t’ai pas menti en disant que la mort ne m’impressionnait pas… Allons donc. »

    Le chasseur sauta allègrement la dénivellation et attendit Gard. Celui-ci sauta à son tour. Mais il présuma de ses forces, la hauteur était trop grande pour sa jambe valide et il s’affala en couinant pitoyablement, laissant échapper le petit pistolet. Guy balaya du canon de son fusil l’arme ridicule et se l’appropria. Il rechargea sa propre arme, puis redressa le malfrat en l’empoignant par son col.

    Les policiers furent bien contents de récupérer le braqueur. Guy leur avait indiqué l’endroit de l’accident où ils trouveraient le corps du second malfrat. Gard eut un sourire sournois. Il appela l’inspecteur.

    « C’est cette crapule qui a le butin.
    — Je sais.
    — Hein ?
    — Ben oui, monsieur Guy d’Ondevellau est le proprio de la supérette que vous avez braqué.
    — Mais alors, pourquoi a-t-il fait tout ce cinéma pour me le soutirer ?
    — Oh, monsieur Guy aime bien jouer au cabotin… Et puis, je crois bien qu’il met un point d’honneur à reprendre lui-même son bien, quels qu’en soient les risques.

    RAHAR
    Texte et choix de photos

     

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 30 Mars 2014 à 18:16

    quelle aventure

    2
    Dimanche 30 Mars 2014 à 18:22

    Hé oui, Flipperine et tel est pris qui croyait prendre ! Merci beaucoup pour ta lecture, à plus tard chez toi. Bises.

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    3
    Dimanche 30 Mars 2014 à 18:49

    Eh eh... bien joué Guy !  Vu ce monstre de sanglier un jour sur Google dans insolite, diable de bête...  Ca va en faire des terrines de pâté... Merci à vous deux, bises de JB

    4
    Di
    Dimanche 30 Mars 2014 à 19:06

    Guy s'est rendu justice à lui-même de façon élégante.

    5
    Dimanche 30 Mars 2014 à 19:13

    Et merci à vous deux, Jill et Di ! Rahar est en forme ! Bises !

    6
    Dimanche 30 Mars 2014 à 21:08

    Encore un nouvelle que j'ai bien aimé malgré la frousse que j'ai eu au début de voir le monstre débarquer. Ce Guy s'est fait justice lui-même avec beaucoup d'élégance !!!

    Bonne soirée à toutes/tous les ami(e)s qui passeront  par là ! Bisous !!

    Monelle

    7
    Lundi 31 Mars 2014 à 10:54

    Bonjour Monelle, oui Rahar sait nous embarquer dans ses histoires ! Moi aussi j'ai aimé la menace qui pesait au début et le fait que tout tourne finalement autrement ! Contente que tu nous aie rejoints ! Belle semaine à toi, à très bientôt. Gros bisous.

    8
    Lundi 31 Mars 2014 à 11:09

    Note : le compteur, à gauche dans la rubrique statistiques, indique le nombre de visiteurs distincts. Je n'ai pas pris note exactement, mais depuis la parution, une cinquantaine de lecteurs, qu'ils soient remerciés !

    9
    Lundi 31 Mars 2014 à 13:51
    LADY MARIANNE

    tel est pris qui croyait prendre !!  la boucle est bouclée-
    mais les sangliers en photo sont énormes ??  jamais vu de cette taille !!
    bravo pour ton billet !! j'mmmm

    10
    Lundi 31 Mars 2014 à 16:34
    josette

    tel le canard...le sanglier est toujours vivant ! 

    11
    Marie Louve
    Lundi 31 Mars 2014 à 19:09

    Au plus malin la main dirais-je, puisque tel est pris qui croyait prendre est déjà en commentaire. Un sanglier digne de la taille d'Obélix. Un bon conte qui reprend son compte. 

    12
    Victoria
    Mardi 16 Septembre 2014 à 05:47

    Je ne m'attendais pas à cette chute originale et surprenante. J'imaginais que ce serait l'attaque d'un phacochère (Mon dieu ! quels monstres, je les imaginais plus petits) qui règlerait le problème en attaquant le voleur. Belle histoire, mon Rahounet. cool

     

    13
    Marie Louve
    Mardi 16 Septembre 2014 à 15:17

    Un sanglier menhir ! Donc Obélix n'exagérait pas. Et j'ignorais que Rahar mesurait les distances en mille et non en kilomètre. Le potager devait bien faire un mille carré pour que ce pachyderme s'y promène en petit-déjeunant. Si c'est pas une honte que d'enlever le pain quotidien de la bouche d'un voleur ! Une vraie histoire de chasseur qui revient bredouille de la bête convoitée. Tout bien ficelé, un récit sans perte de temps. clown

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