• Autrefois, le guenillou - Par Marie-Louve - Article

    vieux montreal closse




           Autrefois, le Guenillou

                 Par Marie-Louve  

     

     



    Photo : grandquebec.com
    Statue de Paul de Maisonneuve, le fondateur de Montréal.
    ***

    Un œil jeté sur un tableau accroché au mur d’une galerie d’art, éveille en moi un souvenir presqu’effacé. Une ruelle agitée, bruyante par les éclats des voix d’enfants rassemblés sur ce terrain de jeux des enfants de Montréal, c’est le théâtre quotidien où se joue avec passion leur vie.  Les mères trop occupées à leurs lourdes besognes ne tolèrent pas les enfants dans les maisons. « Allez jouez dehors ! » Tant mieux, nous étions heureux de cette liberté qui nous permettait d’échapper au regard sévère de nos parents. 

     

    Quand au loin, dans la chaleur des vacances de l’été, comme une cigale, on entendait son chant plaintif, une courte litanie, toujours la même, « Guenilles à vendr’… Guenilles à vendr’… Guenilles à vendr’…», une onde de choc nous frappe. Tous à nos jeux et tout s’arrête. « Freeze !»

     

     Là, nos yeux arrondis se figent soudés les uns aux autres. Un signal. Le plus brave entame la course, les autres suivent à ses basques. Rassemblés derrière une vieille clôture de bois mité, serrés comme les doigts d’une main crispée, nous lorgnons le  bout de la ruelle, guettant ce monstre légendaire qui emporte les enfants malcommodes dans sa charrette.  C’est le Guenillou. Il s’apprête à traverser notre espace au milieu des cordes à linges pliant sous le poids de nos vêtements lavés par nos mères.

     

    Les pieds ancrés sur la barre transversale de notre barrière, le souffle coupé, rien n’échappe à notre regard rivé sur ce loup-garou de notre enfance. Plombés par la peur, notre silence remplit la ruelle. 

     

    Il est là ! Nos  cœurs battent la chamade. Nous dévisageons le vieux Guenillou édenté, haut perché dans sa barouette allant cahin-caha, tirée par une vieille jument tachetée de gris, tête basse, avançant au pas de tortue et lui, nous chante sa complainte :  «GUÉNILL’ à vendr’. Guénill’ à vendr’. Guénill’…» 

     

    Dans sa carriole, mille misères achetées pour quelques sous aux pauvres. Des paillasses béantes, des galoches ou des bottines trouées, des couchettes, des sommiers métalliques dont les ressorts pointaient leur tête comme des tire-bouchons, des réservoirs perforés et encore des dizaines de vieilleries inutilisables devenues encombrantes dans nos maisons trop petites pour autant d’enfants sous un même toit.   

     

    Sur son passage, traînent des effluves malodorants. Pour nous, l’odeur du démon. Nous restons là, pétrifiés, quand arrivé à notre hauteur, il baisse un regard vide sur nous. Le temps s’arrête. Le sang glacé dans nos veines, nous frôlons la mort. Puis, sa picouille lamentable tire péniblement la charge et éloigne de nous le danger. 

     

    Maintenant, il est loin de nous, juste au bout de notre ruelle. Nous sommes sains et saufs. En chœur et à tue-tête, nous chantons :

     

    «  Guenillou plein de poux

        Les oreilles pleines de poils

        Les dents arrachées

        Le nez crochu…»

     

    Fiers de notre exploit, celui d’avoir affronté ensemble nos peurs d’enfants  en restant cachés derrière nos barreaux branlants, nous repartons à la conquête de nos rêves et à nos jeux qui finiront à l’appel de nos parents avant que la nuit ne tombe.   

     

    Nous étions si jeunes et naïfs. Pour nous calmer, les adultes nous menaçaient de nous vendre au Guenillou quand il viendrait à passer. Vous imaginez la peur devant ce pauvre homme qui finalement ne faisait que du recyclage avec les matériaux récoltés çà et là. Pauvre Guenillou !

     

     

    Picouille : vieux cheval 

    Barouette : vieille charrette, guimbarde

    Auteur : Marie-Louve.
    ***


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 31 Janvier 2010 à 15:51
    Lenaïg Boudig
    Coucou Marie-Louve ! Je reviens, j'avais programmé ton texte pour 14 h 00. Mais je vois que le titre n'est pas resté comme je l'avais mis, par exemple ... Enfin, tant pis mais je tâcherai de rectifier.
    Si tu as une meilleure idée pour une photo de Montréal, je t'en prie, donne-la moi !
    Je trouvais cette photo et cette statue pittoresque et j'ai ainsi appris qui était le fondateur de Montréal !
    A plus tard, bisous !
    2
    marie-louve
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:57
    marie-louve
    Bon matin Léna ! Merci d'enjoliver mon texte en affichant ce célèbre Fraçais le sieur de Maisonneuve chez nous. Il portait un nom prédestiné. :-)) Bon dimanche. Bizzz
    3
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:57
    Mona															l
    Coucou Marie Louve! ravie de te lire... Les enfants sont cruels souvent mais dans ton histoire les parents en portent la responsabilité...Ton guenillou est notre "pilhaouer", plûtôt bien accueilli car il nous débarrassait facilement de ce qui nous encombrait... A présent le tri sélectif, quelle corvée parfois! Par exemple chez nous il faut démonter les vieux vélos avant de les mettre à la décharge...Dans mon quartier nous nous moquions des alcooliques. Pas terrible non plus...
    4
    marie-louve
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:57
    marie-louve
    C'était parfait Léna ! Je chercherai juste pour ta curiosité et la mienne de trouver une image qui pourrait illustrer une scène semblable à ce récit. Gros MERCI !

    Bien sûr Mona, quelle idée de terroriser des enfants avec des idées aussi folles. J'imagine que nos adultes répétaient sur nous ce qu'on leur avait fait subir à eux-mêmes. Juste la menace du châtiment de l'enfer à cette époque était suffisante pour éteindre toute lumière à l'esprit qui oserait changer de registre !!! Bizz à vous deux. 
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