• A la recherche du pourquoi, par le comment - Lenaïg (3/3)

     Le champignon de gardeProgression zéro. Cantonnée dans la même clairière depuis jeudi. Même Agrippa s'impatiente car je ne veux plus discuter avec lui ni considérer les idées qu'il me soumet. Juste hâte qu'il s'en aille. Il a du mal à rassembler ses troupes comme toujours ; certaines sont obstinément lovées dans mes chevilles et mes pieds, qui bouillent en permanence. Comme il ne sait rien faire d'autre qu'envahir, il ne me fait même pas chauffer l'eau pour mon café du matin, je dois me débrouiller.

     

    Des écureuils curieux et compatissants ont déposé à côté de mon couchage une impressionnante pyramide de noix et de noisettes décortiquées, je les aperçois qui passent de branche en branche, s'arrêtant de brefs instants pour voir si j'apprécie leur offrande. J'en grignote tout de suite deux ou trois d'un air ostensiblement gourmand et mon geste est accueilli par des petits cris et sifflements de joie. Dans la nuit, une laie m'a rendu visite et je n'ai pas eu le temps d'avoir peur ni de trouver son odeur repoussante. Elle a flairé tous les objets de mon campement, sans rien déranger. Je les ai vaguement distingués, elle et ses petits, dans la faible et intermittente clarté de la lune, j'ai senti l'haleine puissante de la maman au-dessus de mon visage tandis que les La vache du Tibet 2marcassins jouaient à saute-mouton sur moi. La dame a grogné en direction d'Agrippa, resté accroupi près des braises du foyer.

     

    Soudain, une vision de cèpes et de bolets s'est mise à danser la sarabande dans ma tête et leur parfum m'a empli les narines. Dans un dernier grognement, Dame Sanglier s'est éloignée, ses petits sur les talons. Se pourrait-il qu'elle m'ait communiqué sa pensée ? Je verrai bien si c'est vrai, d'ici la fin de la matinée … Va-t-elle me livrer mon déjeuner sous la forme de délicieux champignons ? Je plante mon abri de pêcheur à ouverture parapluie et je fourre mon duvet et le reste de mes affaires dessous car des nuages chargés s'amoncellent. Je me reglisse dans mon duvet en sirotant du café, insensible aux premiers crépitements de la pluie. Je me mets à somnoler sans prêter attention non plus à des bruits de terrassement non loin. Je m'endors bel et bien pendant deux bonnes heures au moins.

     

    Lorsque je m'éveille, c'est pour surprendre le détalage effarouché d'un lapin marron clair, qui devait me tenir compagnie sous l'abri. Je l'appelle doucement, il revient et se rassoit, tout en entreprenant de se passer les pattes sur les oreilles, sans doute pour masquer sa gêne de son réflexe de fuite atavique. Puis il sort pour inspecter la tranchée qu'il a réalisée, un peu en contrebas, une rigole où la pluie forme déjà un ruisseau qui s'évacue Lapin debout centrédans la pente douce. "Mais tu es trop mignon, compagnon !" lui dis-je, "c'est toi qui me permets de rester au sec !" Il me regarde, s'ébroue, fait un petit bond joyeux sur place et disparaît. Zut ! Et la solitude qui me pesait, à la longue …

     

    Mais que vois-je, déposés près de mon petit réchaud à gaz, prêts à sauter dans la poêle ? Les champignons rêvés ! La laie est repassée ! Agrippa boudeur est refugié sous un chêne. Lapin revient sur ces entrefaites avec une brassée, heu une "museaunée" ? Une "mufflée" (ah non, trop péjorativement connoté), bref une gerbe, un bouquet de fines herbes, que je ne reconnais pas toutes. Il en prélève un peu et de son nez frémissant il pousse le reste vers moi. Quel bon repas de milieu de journée ! "Mais … qui sont ces animaux ?" Me demandé-je. Ils ont une attitude que je comprends, pas comme ceux d'Alice au Pays des Merveilles … Ils sont là pour combattre les particules anarchiques du Minotaure Agrippa ; c'est la réponse au pourquoi de leur existence, issue de mon imagination et le bien-être que je ressens après ma poêlée de cèpes et bolets au cerfeuil sauvage ne nécessite pas que j'approfondisse le comment.

     

    Si je veux, j'ai accès à mon poste de télé, de même qu'à la radio, au téléphone et à l'internet, dans cet univers virtuel ou onirique où je me trouve plongée. Heureusement, sinon mon isolement me pèserai. Ce fut dans le cadre ouvert de ce même univers qu'hier soir, je me suis baignée dans le lac d'une source d'eau chaude et je crois que les fumerolles que j'ai inhalée ont eu un effet bénéfique : en asséchant mes bronches et mes poumons, elles ont empêché les particules de se fixer …

     

    La vache du Tibet"La Terre s'effondre sous nos pieds" s'écrie Nicolas Hulot dans le poste de télé. Si la Terre s'effondre, raison de plus pour ne pas abandonner ma quête, tout en laissant agir les spécialistes bien entendu. Ce serait effectivement dommage de ne pas secourir la Terre, qui nous héberge depuis si longtemps, surtout que nous ne l'avons pas ménagée depuis que nous sommes dessus. Dois-je alors affiner, préciser, mieux définir ma quête, ma cible ? A ce moment-là, lapin me regarde et secoue vigoureusement la tête comme pour dire non. Ah ben ça alors, une réponse, extérieure ? Je me souviens -et le lecteur n'y coupera pas- d'un épisode mouvementé de Tintin au Tibet dans les rues de New Dehli. Le Capitaine Haddock ayant voulu enjamber une vache sacrée se retrouve à califourchon sur la vache, qui se met à trotter. Il ne peut répondre à l'interrogation du policier, surpris, sur sa destination : "-Où allez-vous comme ça ?" "- Sais pas, demandez à la vache !" Mais la vache, elle, garde son secret.

     

    Mon lapin a-t-il vraiment dit non ? Je ne le saurai jamais ! Et jamais je n'essaierai de le caresser, ni de le prendre dans mes bras, il risquerait de s'enfuir, ou pire, de s'évaporer. N'empêche, une certitude se fait jour : non, c'est non ! Il ne faut pas fixer de cap précis dans la recherche du pourquoi du comment. C'est en cherchant tout court qu'on a des chances de faire d'autant plus de découvertes qu'on n'a exclu aucune possibilité.

     

    Fin !

     

    Lenaïg (délires fiévreux novembre-décembre 2010)

     

     

     

     


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 15 Août 2010 à 15:16
    marie-louve

    À la douce mémoire ... :-)) de cette terrassante Agrippa qui suscita tant d'intérêt que la planète entière en parla. Même un lapin de garenne sort de son clapier sauvage pour venir soulager la solitude de la victime. De fines herbes en bouquet offrent à l'imaginaire la potion de la guérison. Allez savoir pourquoi et comment ? C'est ainsi et parfait ! Bravo !  

    2
    Dimanche 15 Août 2010 à 20:26
    Stellamaris

    Alors là, cette atmosphère mi-réaliste, mi-onirique, j'ai adoré ! Bravo ! Bises.

    3
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:53
    Mona															l

    C'est que ça donnerait presque envie de l'attaper, cette grippe! J'ai A-DO-RE et même écouté le jazz avec plaisir...

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    4
    jill bill
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:53
    jill bill

    Coucou Lenaïg.... Délirium pas mince du tout... C'est grave docteur ???  De sa grippe elle nous en a fait une sacrée cuisine, du champignon au civet de marcasin et autre lapin.... A cette fièvre je lui préfère la fièvre du samedi soir... Tu viens danser Lena ? Ben si, là tu es guérie quand même !!!  Bisous bisous 

    5
    Anaëlle
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:53
    Anaëlle

    D'accord avec Mona: en te lisant, on a presque envie d'avoir la grippe nous aussi afin de recevoir la visite de tes charmants animaux! Et la vision du capitaine Haddock juché sur une vache folle vaut le détour !

    6
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:53
    Mona															l

    Coucou Lena, en fait elle cite des passages de la bible et dit que oui mais elle y ajoutera son grain de sel... Donc je traduirais par "Ce n'est pas forcément ça" ex: Mathusalem a vécu 900 ans mais est-ce vraiment "vivre" quand pas une fille ne tombera dans les bras d'un type de cet âge.... Bien sûr qu'on l'a écouté ensemble et merci Marcus Bradypus!Il a un de ces goûts!

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