• A la recherche du pourquoi, par le comment - Lenaïg (2/3)

    Après une courte nuit où le sommeil s'est fait chiche, le Minotaure se manifestant une première fois par des assauts de sentiments négatifs : incertitude, isolement, angoisse, épuisants à repousser, je me décide à lever le camp. J'ai des courbatures partout et qu'il m'est dur de m'extirper de mon duvet. Le soleil perçant à travers les arbres, le murmure des branches et les quelques ébrouements et cui cui d'oiseaux cachés, le vol planant et croassant d'une corneille, la chaleur du café en poudre que je prépare sur mon petit réchaud à gaz, achèvent de me donner du coeur à l'ouvrage.

    N'empêche, je n'ai pas d'allant. Comment vais-je faire pour progresser ? Pourquoi, cela je le sais : pour trouver la réponse, pardi ! Surtout ne pas perdre le nord, suivre ma boussole, le plus fiable des instruments, écouter le GPS incorporé dans mon crayon mais, comme ce dernier a tendance à n'en faire qu'à sa tête, je vais m'amuser à le désorienter sans cesse, en prenant les directions opposées à celles qu'il m'indique. Vais-je le rendre fou ? Pfeu, ce n'est qu'une machine après tout. Quand il en aura marre de s'époumoner à m'enjoindre de faire demi-tour immédiatement, soit il se taira, soit il se décidera enfin à me guider vers le pourquoi du comment. Il comprendra peut-être que nous n'allons pas linéairement d'un point A à un point B (forcément j'ai bien été obligée de lui indiquer quelque chose, alors il croit que le lieu de départ est Pourquoi et l'arrivée Comment ...). Il laissera tomber l'itinéraire le plus court ou le plus rapide et m'apportera son concours pour une exploration tout azimut, dans le présent comme dans le passé, dans l'espace comme dans le temps.

    Depuis dimanche soir, c'est vrai, un Minotaure m'a imposé sa compagnie, insidieusement. Il m'a laissé croire que je cheminais seule d'abord, prenant le temps de s'installer partout en moi. Mais, hier matin, quand je suis sortie de mon duvet pour chauffer l'eau de mon café, il s'est annoncé :
    "- Coucou, c'est moi ! On me connaît sous le nom de Virus Saisonnier, syndrome grippal de mon état ... Je t'ai choisie entre autres élus, pour progresser, moi aussi ! Ne t'inquiète pas : au bout d'une semaine, ou peut-être deux, ou trois, je te quitterai, je ne suis pas fidèle en amitié (d'ailleurs, cela vaut mieux pour toi, je suis néfaste, on ne m'aime pas) ; j'irai rejoindre d'autres randonnées, celles qui ne seront pas barrées ...
    - Ah, Virus Saisonnier, dis-tu ? Etant donné l'accès de fièvre élevé que ton arrivée a provoqué, je m'attendais à plus dramatique : la grippe A.
    - Quoi ! La grippe A ne t'épouvante pas plus que ça ? Certains osent à peine prononcer la formule maudite H1N1, on croirait qu'ils évoquent le diable ou la peste ! Puisque tu m'es sympathique (oui, je sais, la réciproque n'est pas vraie), je te le confirme, sans mentir, cette fois : mon vrai nom c'est Agrippa !
    Je sais, je peux être très méchant mais ...
    - Et sans gêne, surtout ! Tu n'as pas frappé avant d'entrer ..."
    Il a paru penaud :
    "- C'est que je ne contrôle pas bien mes milliards de particules, je te l'avoue, elles se faufilent dans tous les nez avant que j'ai le temps de dire ouf ...
    Pour ma défense, je te rappelle que tu vas fabriquer des anticorps et que tu n'auras pas besoin de te poser la question de te faire vacciner ou pas quand tu recevras ta convocation !
    - Hum, tu ne serais pas en train de te vanter ? Fièvre et courbatures oui, mais je n'ai aucune difficulté à respirer !
    Agrippa, je veux bien si cela te fait plaisir, mais je n'oublie pas le premier nom sous lequel tu t'es présenté ! En fait, j'ai du mal à te croire ...
    - Accorde-moi le bénéfice du doute !
    AGRIPP~1- Je n'ai pas le choix. Alors, passons à autre chose ! Pourquoi "Agrippa" ? Tu te sens fier de ce jeu de mots ? Te prendrais-tu pour un général romain ? Mais tu n'es même pas capable de contrôler tes troupes, c'est du beau !
    Est-ce qu'au moins tu me seras utile dans ma quête du pourquoi du comment ?
    - Je peux me prendre pour Agrippa d'Aubigné, si cela te plaît. Tiens, écoute, je le cite : 

     

    "Quelquesfois en me pourmenant
    La Vérité m'allois menant
    Aux lieux où celle qui en faute
    De peur de se perdre se perd
    Et où l'Eglize qu'on tourmente
    S'enferma d'eau dans le désert".

    Les Tragiques, Préface, Agrippa d'Aubigné (1152-1630).

     

    "- Lui aussi cherchait sa route, non ?
    - ...
    - Pas convaincue ?
    - C'est que ma quête ne comporte pas de querelles de clochers, heu pardon, de considération sur des schismes ! C'est gonflé, osé, risqué !
    - Attends, attends, j'ai mieux :"

     

    ... "Usons ici le fiel de nos fâcheuses vies,
    Horriblant de nos cris les ombres de ces bois :
    Ces roches égarées, ces fontaines suivies
    Par l'écho des forêts répondront à nos voix.

    Les vents continuels, l'épais de ces nuages
    Ces étangs noirs remplis d'aspics, non de poissons,
    Les cerfs craintifs, les ours et lézardes sauvages
    Trancheront leur repos pour ouïr mes chansons."

    Théodore Agrippa d'Aubigné, poète du 16ème siècle.

     

    "- Tu vois bien qu'il t'a précédé dans ce labyrinthe boisé !"
    Séduite par ces vers, je me suis promis sans illusion (car je me promets d'aller approfondir tant de connaissances que je n'y arrive pas), de revenir méditer sur les écrits de cet Agrippa d'Aubigné, compagnon fidèle d'Henri IV (jusqu'à ce que celui-ci change de religion ; après, cela se gâta ... leur amitié n'y résista pas).

    Une bonne âme doublement fraternelle m'ayant apporté mon courrier, je me suis absorbée dans la lecture de mon magazine scientifique favori (le seul qui me soit accessible) ... Ai-je fermé les yeux ? Je ne sais plus, mais je crois avoir tout mélangé.
    J'ai assisté au spectacle hallucinant d'un combat de titans : deux acariens je ne sais L'Etoile mystérieuse -araignéecombien de fois grossis s'affrontaient dans un énorme nuage de gaz froid (comme ceux qu'on vient de découvrir dans la Voie Lactée). J'ai eu peur ! Puis j'ai ri. J'ai repensé à l'album de Tintin et Milou, "L'Etoile mystérieuse", un de mes préférés ... à l'exclamation de Tintin observant la météorite grandissante au télescope de l'Observatoire et s'épouvantant de ce qu'il voyait, une énorme araignée noire cramponnée à la météorite. Après vérification du savant, intrigué par les commentaires étranges de Tintin, on découvrit la malheureuse petite bestiole simplement interposée entre le verre de l'appareil et la vision offerte ...
    Quant à ces nuages de gaz froid (mais vraiment froid !)longs de plusieurs années lumière (au moins), il paraît qu'ils semblent se concentrer dans le but de former de nouvelles étoiles. Il s'en passe des choses dans notre galaxie, quand nous avons le dos tourné !
    Une piste du pourquoi du comment pourrait bien se présenter là : en élucidant comment l'infiniment grand rejoint l'infiniment petit, on devrait approcher du pourquoi !

    A propos d'araignées (outre celles que ce diable d'Agrippa m'a collées au plafond), ce matin ... est-ce que je somnolais ? Toujours est-il que j'ai sursauté en entendant parler à la radio d'une araignée dite coccinelle ... joli nom, belle carapace, masquant une vilaine réalité : ses morsures sont terriblement dangereuses. Pour me rassurer, au cas où un autre Minotaure de mon labyrinthe personnel veuille prendre cette forme-là, un coup de baguette de ma fée me fait voir à la place un autre spécimen de la gent arachnide, récemment découvert : la première araignée végétarienne, pardon herbivore est le terme approprié, toute petite et gratifiée d'un nom magnifique : Bagheera Kiplingi, Mexicaine raffolant des bouts de feuilles d'acacia, que lui disputent les fourmis, ses ennemies ...

     

    A suivre

     

    Lenaïg (délires fiévreux, novembre-décembre 2009)

     


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  • Commentaires

    1
    Mercredi 11 Août 2010 à 21:09
    Stellamaris

    Extrêmement réjouissant à lire ! L'essai est décidément un genre qui te vas bien ! Bises.

    2
    Dimanche 15 Août 2010 à 15:05
    marie-louve

    La fièvre de l'inspiration donne des résultats qui nous agrippe du début à la fin de ton récit. Bravo Léna !

    3
    jill bill
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:53
    jill bill

    Mais oui je te fais un p'tit coucou... GPS dans l'crayon, y a qu'ici que j'ai lu ça et tu t'en amuse bien à le rendre fou...l'étoile mystérieuse de mon ami Tintin, suis belge une fois, merci de l'aimer, les vers d'Aubigné de derrière les fagots... tout ceci dans une histoire à la Lena.... Je reviendrai te suivre...oui oui t'inquiète !!  Bisous ma grande, n'oublie pas ta camomille du soir...

    4
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:53
    Mona															l

    Ma doué! même en vacances, tu te poses ces questions angoissantes: le pourquoi du comment , rien que ça? De quoi s'augmenter la fièvre que ce vilain virus t'a collée! Agrippons la grippe et boutons là hors des corps! L'été le virus s'affaiblit... profitons en pour l'anéantir! sport, nourriture saine, vitamines, bonne humeur tout ça en viendra à bout....

    5
    Anaëlle
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:53
    Anaëlle

    J'ai vraiment bien aimé! Mais tu ne réponds pas à la question du "pourquoi/comment", coquine! Agrippa, c'est une bonne idée! Cela m'a fait pensé à la mère de Néron, Agrippine: Elle était bien gratinée, elle aussi...

    6
    Anaëlle
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:53
    Anaëlle

    J'attends lasuite avec curiosité!

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