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Perceval JANVIER
Tour Pierre-Bérégovoy
16e étage
36 Rue Jean Jaurès
75000 PARIS
Madame Josette JANVIER
8 Rue Claude Chabrol
23000 GUERET
Le 20 septembre 2010
Ma Chère Mamie,
Cette lettre est un secret, qui ne sera connu que de toi, moi et le monsieur qui est en train d'écrire en ce moment ce que je lui dicte. Après, il va taper ma lettre sur son ordinateur et nous la glisserons dans une enveloppe qui est déjà prête. J'ai moi-même écrit ton nom et ton adresse d'après le modèle du monsieur et c'est moi qui paie le timbre que j'ai collé dessus.
Comme la belle carte que Papa, Maman, Yseult et moi nous t'avons envoyée pour ton anniversaire est sûrement arrivée, tu vas te demander pourquoi tu reçois maintenant une lettre de ma part. Ne t'inquiète pas, il ne s'est rien passé de grave. C'est juste que je penses à toi très fort depuis que je suis revenu de vacances et que tu me manques. Par le téléphone, tu as eu les détails de notre rentrée scolaire, à Yseult et à moi. Tu sais qu'Yseult pleurait tous les matins au début parce qu'elle ne voulait pas aller à l'école, mais elle s'est fait des copines et, pour elle, tout baigne, maintenant !
En ce qui me concerne, le maître ne m'a pas spécialement à la bonne parce qu'il trouve que je suis trop bavard. Il faut que j'apprenne à tourner sept fois ma langue dans ma bouche avant de l'ouvrir, comme m'a dit en riant le monsieur qui écrit. Mais le monsieur rajoute à l'instant que, quand je l'ouvre, ce n'est pas pour ne rien dire !
Yseult et moi nous sommes à la Maison d'accueil de la Tour, dont Papa et Maman t'ont parlé. A 19 h 30, Maman viendra nous prendre et on montera à l'appartement. Yseult, qui n'a pas de leçons ni de devoirs est occupée à l'atelier de pliage et découpage. Moi, j'ai fini ma page d'écriture et mes deux additions et j'avoue que j'ai voulu voir si je pourrais sortir tout seul dans la rue et m'y balader un peu. Peine perdue ! Cela, c'est le monsieur qui le dit et l'écrit : hé oui, son bureau est juste à l'entrée. Ce soir il y était tout seul et il avait laissé la porte ouverte, exprès pour vérifier que les p'tits gars comme moi ne feraient pas de bêtises !
J'étais embêté de m'être fait prendre et je lui ai expliqué que je commençais à m'ennuyer ; je lui ai posé plein de questions sur ce qu'il faisait là, lui ! Alors voilà : M. Philippe Autèse est écrivain public. Comme il m'indique que tu es au courant de ce que cela veut dire, il propose de mettre simplement que, lorsque je lui ai dit "Chiche que tu écris une lettre pour moi !", il a accepté avec joie. Cela le change des problèmes parfois complexes dont il doit s'occuper pour des gens qui maîtrisent mal le français ou qui ne savent ni lire ni écrire, mais il est tout aussi fier de la mission que je lui ai confiée : c'est très important d'écrire à sa grand-mère.
Tu ne parles pas à Papa ni Maman de ma tentative de fugue, Mamie, s'il te plaît. Je crois que M. Autèse est en train de devenir un ami et parler avec lui me fait du bien. Comme les médecins, il est lié par le secret professionnel et il ne raconte à personne d'autre ce qui se dit dans son bureau. Il faut qu'il discute avec ses clients avant de pouvoir leur écrire leurs lettres. C'est ce que nous avons fait. Je me sens plus léger parce que j'ai pu faire le point avec lui. Oui, sentir Papa stressé tous les soirs, rentrant quelquefois à peine à temps pour venir nous dire bonsoir quand nous sommes couchés et s'énervant ensuite auprès de Maman à propos de son boulot, ça commençait à me peser et j'avais pris l'habitude de tendre l'oreille pour essayer de savoir ce qui se passait.
M. Autèse m'a rassuré. Il faut faire la part des choses : je suis trop petit pour comprendre les soucis de Papa et je n'ai pas besoin de rester éveillé pour écouter le soir, en luttant contre le sommeil. J'aurai bien assez de mes propres soucis, quand ils arriveront et je devrai être en forme pour leur faire face. En attendant, je profite de ce que tout va bien et, pour Papa, je dois surtout me rappeler qu'il nous emmène tous les samedis matins à la piscine et qu'on s'y paie de bonnes tranches de rigolade, Papa compris !
Tu sais tout, Mamie, maintenant, comme M. Autèse, et moi je me sens plus calme.
Porte-toi bien, Mamie Josette et attends-nous pour la Toussaint.
Gros bisous
***
Lenaïg,
pour le défi de cette semaine proposé par Eglantine-Lilas (mere-grand.over-blog.com) : faire écrire une belle lettre par un écrivain public.
Illustration : le bonhomme aux cheveux en herbe, www.jeveuxca.com
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* Eclairage sur les rouages :
Dans le roman multiplume du 101, les sources des emails sont diverses.
1ère source :
les auteurs, bien sûr, qui prêtent leurs plumes, les dei et deae ex machina, en principe tout-puissants.
Mais il arrive qu'ils ne contrôlent pas tout ! D'ailleurs, l'écrivain qui se lance dans un roman le sait bien : il voit ses personnages s'échapper, s'emballer, dans le mystère de l'imagination et de la création.
2ème source :
dans le monde mystérieux ci-dessus évoqué se sont glissés -et se glisseront encore- des hackers (pirates de l'informatique) !
Dans la Saison 1, notre hacker n° 1 champion toutes catégories : Romain Baladeuse, 90 ans si je me souviens bien, piratant tout de son île paradisiaque (Rahar nous a révélé son existence).
Un hacker inconnu, certainement situé plus près (géographiquement) du 101, sévit aussi dans le coin (n'importe quel auteur peut signaler ses découvertes, ou même le faire adresser des messages à qui il veut). Il est traqué sans succès par le Commissariat du quartier (qui ne doit pas s'en occuper beaucoup, ayant d'autres marmites sur le feu). Du commissariat du quartier, nous connaissons le "flic" Pat Hos, qui a fait une brève incursion dans la Saison 1, pour un autre motif (à l'instigation de l'auteur Moutonnoir).
Et que dire de ... notre Blanche Tuttiquanti, vieille dame espionne à sa fenêtre et brillante surfeuse sur le net également, ainsi que son correspondant et bon ami William Will ? A eux deux, sur quels sites en principe interdits, même codés, sont-ils capables d'entrer ? Blanche est à prendre ! Qui la fera évoluer ?
* Préambule à une intervention de l'auteure Di (voir Plumes au vent) et à une fantaisie dont Marie-Louve a le secret.
De quand date le message qui vient juste après, que Di porte à notre connaissance ?
Il semble relever par ses propos de la Saison 1, mais vient aussi se projeter dans la Saison 2.
En effet, nous ignorons le temps que Paolo Tequila est resté en clinique après son pétage de plombs dû aux morsures des puces qui s'en étaient prises à lui après avoir envahi son chat. Mais à peu près une année s'est écoulée depuis les derniers messages révélés dans la Saison 1.
Or, Paolo sait déjà que Jane Hermanie, sa coiffeuse préférée, a quitté Miroboland.
Ne cherchons pas plus avant et prenons les choses naturellement : peut-être s'agit-il d'une faille dans l'espace-temps, d'une réalité parallèle ? Vous je ne sais pas, mais moi je n'exclus rien et ... que c'est excitant !
Pour terminer l'interlude et en attendant le -ou la- volontaire qui abordera pour nous le chapitre 5 en s'inscrivant sur le blog des Croqueurs chez Tricôtine, on va déguster des écrits joyeux et enthousiastes que Marie-Louve a retrouvés. Qui les a rédigés ? Charlotte, ou Marie-Louve elle-même, un peu des deux ? Là je ne cherche pas non plus et je me laisse gagner par l'euphorie de faire vivre encore et encore nos petites "marionnettes" ...
Lenaïg
***
* Auteure : DI
Message non daté.
À Charlotte.des3maison @ hotmail.fr, À tugdual.kerloch @ hotdog.com
Chère mademoiselle Charlotte
Et cher Tugdual
Je suis revenu de l’hôpital hier où je me suis fait soigner pour des morsures de puces et pour une crise de nerfs. Les puces étaient hébergées par ma petite chatte Chatiment et se sont jetées sur moi. Qu’y pouvais-je ?
Je n’allais pas la faire tuer pour cela, je l’ai fait traiter et elle est sortie de chez le vétérinaire hier elle aussi, la pension était dispendieuse pour deux semaines, mais qu’importe.
J’apprends avec consternation que madame Hermina Van der Prout n’habite plus au 101, ainsi que ma coiffeuse préférée qui me coiffait à la Valentino. C’était la seule qui pouvait me contenter en tant que coiffeuse. Je l’aimais bien, elle réussissait bien vos coiffures mademoiselle, surtout quand elle vous coiffait en tête de lionne.
J’ai un froid avec ma psychiâtre qui m’a fait croire pendant deux ans qu’elle était un homme alors qu’elle est femme et très belle femme en plus. Elle se dit amoureuse de moi, mais je suis tellement vexé qu’elle m’ait pris pour un fou que je ne veux pas répondre à ses lettres enflammées.
De plus, je découvre que mon concessionnaire d’auto essaie de me rouler. Il m’a annoncé la mort de mon auto alors qu’elle est en pleine santé. M’a-t-il menti parce que je ne connais rien à la mécanique, m’a-t-il traité comme une femme ? Je ne sais pas, mais j’ai fait examiné la voiture par un mécanicien réputé et celui-ci m’affirme qu’elle n’a besoin que de quelques réparations et elle en a pour encore 10 ans de vie. Comment cela va-t-il pour vous ?
Peut-être avez-vous étiré votre voyage de noce ? Répondez-moi quand vous reviendrez. J’ai l’impression qu’il se passe des choses étranges depuis mon retour. Par exemple, le savon de mon lavabo était sale, alors que je suis certain de l’avoir laissé propre en partant pour l’hôpital.
Mademoiselle Charlotte, reviendrez-vous travailler avec moi ? Je vous en prie, je ne peux me passer de votre compétence.
Amicalement
Paolo Tequila
***
* Auteure : Marie-Louve
On chante l’amour et on danse. Je suis nous, sa petite bourgeoise, mais c’est moi qu’il aime le mieux, sa petite Tonkinoise… Princesse sans amour, mon cœur est un oiseau des Îles, Ram-Pam-Pam avec Pills et Tabet. Venez ! Lolita pour vous : Bonsoir my love, j’ai deux amours !
On chauffe la scène ! Madame Hermina Van Der Prout, née de l’imaginaire Prosper Mérimée, une gitane ? Un coin de l’Espagne de feu vêtue mène la danse dans un univers goyesque d’or et de sang. Elle va, dansant sa corrida au pas de Tequila ? Flamenco, cante jondo, les guitares, les castagnettes, les battements de mains, l’appel de la danse, zapateado, frappe de pied. Juan Carlos Caceres, Toca Tango, musique inspirée des fêtes populaires de rue, l’Argentine, abolir la distance et réunir les amis. Los Muchachos de Miroboland, chasser la douleur, défigurer la bouffonnerie, au pouvoir « mascarade».
Charlotte, Blanche, parlez encore, parlez mes belles… Carmen chez Madame Minou.
Toréador en garde ! Habanna. Tango, flamenco ! Olé, Olé ! Si je t’aime prends garde à toi !
Le 101 là où les jeux d’ombre et de lumière, d’or et de sang, d’amour et de peur…on se joue les uns sur les autres pour faire musette comme la petite Tonkinoise. Y’a pas trois moyens de jouer, c’est juste un jeu plaisir. Comme sur ces paroles de nos grands-mères qui devaient savoir danser avant nous…le rêve est né avant nous !
***
Au Québec, une femme qui écrit est une auteure. Marie-Louve et Di sont québécoises, ce sont bien deux auteures (même si chez nous l'Académie renâcle à valider ce féminin).
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Cette semaine, c'est la printanière Eglantine-Lilas (http://mere-grand.over-blog.com) qui nous propose de nous promener le long d'allées fleuries, de flâner dans les jardins ou les champs et de rapporter des brassées, des bouquets, des souvenirs de pétales et de parfums.
Hier soir dans mon lit, c'est ce que j'ai fait, je ne suis pas restée devant l'ordi ; ce matin, je reviens vous offrir à mon tour mon bouquet, puis je vais aller explorer les sentiers des autres Croqueurs.
**********
Première allée du jardin :
Voici quelques petits poèmes que j'ai écrits, sur un rythme de tanka et en osant des rimes, comme j'ai coutume de le faire quand cela me vient.
Les pois de senteur
Aux vives couleurs,
Embaumaient sur leurs tuteurs,
Les pois de senteur,
Quand j'étais adolescente.
Ce doux souvenir me hante.
Rouges éclatants,
Délicats roses et blancs,
Mauves triomphants.
D'aussi beaux je n'en vois plus.
Ont-ils vraiment disparu ?
La fleur
Sur toile ou fusain,
C'est que le nez se souvient,
Autant qu'au jardin.
La fleur atteint le divin
Et l'oeil hume son parfum.
La fleur de lys
Sur blason, la fleur de lys
Serait en fait un iris ...
Lenaïg
**********
Deuxième allée :
Pour continuer la balade, un choix de strophes de La Mansarde de Théophile Gautier (1811-1872), du recueil Emaux et camées.
Sur les tuiles où se hasarde
Le chat guettant l'oiseau qui boit,
De mon balcon une mansarde
Entre deux tuyaux s'aperçoit.
Pour la parer d'un faux bien-être,
Si je mentais comme un auteur,
Je pourrais faire à sa fenêtre
Un cadre de pois de senteur,
Et vous y montrer Rigolette
Riant à son petit miroir,
Dont le tain rayé ne reflète
Que la moitié de son oeil noir ;Ou la robe encor sans agrafe
Gorge et cheveux au vent, Margot
Arrosant avec sa carafe
Son jardin planté dans un pot.
.../...
Un soir, n'étant pas revenue,
Margot s'attarde au mont Breda,
Et Rigolette entretenue
N'arrose plus son réséda.Voilà longtemps que le poète,
Las de prendre la rime au vol,
S'est fait reporter de gazette,
Quittant le ciel pour l'entresol.**********
Troisième allée :
Terminons la balade par de la nostalgie et de l'espoir mêlés : un extrait de Fleur bleue du poète Nougaro.
La fleur bleue rougit de honte
Que se passe-t-il dans son pistil ?
Frêle fleur bleue, elle est prompte
A se parfumer d'exil
Sur la terre, trop de trombes
Encore se battre, encore souffrir
Encore un pétale qui tombe
La fleur bleue veut plus fleurir
Baladons-nous encore un peu
Il se pourrait que dans ce champ
Parmi tant de chardons méchants
Elle se cache comme elle peutClaude Nougaro, album La note bleue 2004
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Références illustrations : voir albums Fleurs et album Les Amis.
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Peur, peur de quoi ? De nous-mêmes ou de l'autre ?
Elle se cache derrière les visages, la chair blanche des femmes ou les yeux craintifs de l'enfant
suivant son père en l'ignorant. Elle se tapit en courant sous chaque boutade assortie d'un rire qui
l'oublie, elle jubile et se tait.
Elle vit au fond de tous mais peu le savent, ou tâchent de la rejeter dans des occupations ineptes,
utiles ou factices afin de n'en rien apercevoir... C'est elle qui fait la laideur de nos traits, nos
couleurs rapides sur notre face aux yeux ouverts, les rides et défauts de notre cuirasse mortelle.
Quand nous fermons nos transistors, nos portables, nos télés ; quand nos interlocuteurs se sont tus à
force d'avoir trop parlé ou lorsque le silence du sommeil les surprend, alors, elle veille et nous
regarde.
C'est la peur. La peur ancestrale de la chair enfermant les mémoires de l'instinct et nos fautes
passées qui poursuivent le vieil homme, le squelette de nos vies futiles. Futiles ? Pas toujours... La
nuit fait son royaume à la peur, afin qu'elle s'exprime pleinement. Elle glisse alors sur les murs
blancs de nos cités, ceux de nos supermarchés sans âme, ceux que nous mettons entre nous et nos
semblables.
La peur. La peur de l'autre : celle de la petite vieille ne répondant pas à votre sourire, ou de la
morgue des adolescents aux corps insolents de fraîcheur, celle du piédestal des bien-pensants, d'un
martyr anonyme, ou simplement l'instinct ? Crainte de nous-même, de nos oublis, nos défauts, celle
de nos secrets obscurs ou éclairés... Allons, lecteurs, n'ai-je pas raison ? Entre nous...
Je cherche à te connaître ô peur, t'analyser, te piéger avec les mots que j'écris, et tu te défiles face à
cette lumière vive. Peur instinctive nécessaire à la survie certes, mais peur aussi de voir vraiment la
vie, connaître enfin l'autre ; vraiment...
Je te surprends sous notre chair vieillissante et laide dont s'occupent les marchands du corps en ne
regardant pas les leurs. Je t'ai aperçu hier sous un parking à demi éclairé de rayons blafards. Tu
t'enfermes dans les prisons corporelles comme l'oiseau dans sa cage, l'esprit cadenassé dans une
incarnation humaine ou animale. Chacun sous ses douleurs rêve de s'envoler de cette condition
insupportable, chacun l'oublie comme il peut en nourrissant des désirs naturels auréolés de l'inutile
et du dérisoire. Si je te scrute avec mes yeux souriants, quelquefois le miracle produit un contact
illuminant quelques heures de cette journée. L'âme, l'âme dans le regard de l'autre, l'âme qui
cherche à s'envoler !
La peur, tu la vois et tu ne veux pas voir. Elle te fait peur...
Ton corps d'enfant grandit et s'exalte d'une énergie trop grande pour des hormones découvertes et
brutales. Quand il s'est transformé et que tu l'as accepté, plus ou moins, tu « fais » avec. Il sera pour
toi une source de bénédiction ou de malédiction, c'est selon ; et pas toujours le corps que l'on croit...
Ensuite, tu fuiras ou braveras les yeux des autres corps qui eux-mêmes agiront de façon similaire,
mécanique ou vivante c'est selon...
Le temps passe et la peur ne passe pas. Le corps est frère de la peur. Et l'âme ?
Tu l'apprivoiseras ou elle t'anéantira, la peur, dans des fuites alcooliques addictives dit-on. Tu
brûleras la chandelle de ton âme embrasée si Dieu, l'art ou le vrai ont pu rentrer soudain : ton
autorisation craintive ou aimante le permettant. Sinon gare : le temps froissera tes chairs de son
étreinte impitoyable jusqu'à ce que ta carcasse détourne le visage de l'enfant innocent et naïf : il ne
sait pas encore ; la mort paraît si loin...
Les corps martelés, tachetés de noirceurs, rides ou tatouages, les corps deviennent souvent laids, à
moins que l'âme vertueuse ressuscite ses chairs d'une auréole floue que certaines personnes
dévoilent inexplicablement. Les yeux, toujours les yeux. Ouvre les tiens, souris ; elle disparaîtra, la
peur !
Les corps qui font souffrir et transcendent à la fois. Misère ou lumière. L'esprit veut s'envoler
derrière la carcasse du squelette charnel. Cultivant l'apparence afin de ne pas vivre seul, le corps
rejoint une âme, son ultime raison, afin d'engendrer d'autres corps et d'aimer au passage. On dirait
qu'il se vide et remplit dans la jouissance ultime d'un voyage qui rejoindrait l'esprit par l'espace et le
temps. Métaphysique inconsciente...
Les corps qui me fascinent. Je détourne la tête plus souvent en été, devant une viande étalée, la
chair indécemment visible d'une matière flasque, insolente aux langueurs, boudinant d'abondances
ou sculptée dans le papier glacé des magazines morts. Le corps qui s'enlaidit inévitablement pour
aller vers la tombe et que l'on ennoblit seulement dans l'amour.
Ah ! l'indécence surgit : parler de l'amour quand il s'agit de corps et de mort, de laideur et de beauté.
Seulement à ce prix, la peur ne sera plus peur et déstabilisera l'insolente quiétude de l'homme
rassasié...
Dominique
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Freddie :
Alors, ma reine de la caféomancie, ma parapsychologue préférée, tout est prêt pour recevoir ta première cliente ?
Sabine, fébrile :
Je ne sais pas, Freddie, j'ai le trac ! Quatre clients jusqu'à midi ! Il y en a déjà deux assis dans la salle d'attente et leur proximité me fait voir et sentir déjà tant de choses à leur sujet … Je connais leur apparence à tous les deux avant même de les avoir rencontrés. Leur généalogie à chacun a défilé devant moi, leur passé ne m'est plus inconnu.
J'ai, en plus, fait un bond dans le temps et … cet homme qui attend, lui aussi, derrière la porte, un personnage ambitieux à qui maintenant tout réussit … je sais qu'il va se relâcher, s'encanailler, devenir la négation de lui-même, un clochard !
Pour la femme, je suis plus rassurée : elle n'a qu'un jeune fils et celui-ci m'est apparu en ténor donnant une représentation très applaudie au Capitole de Toulouse. C'est la musique qui va illuminer leur vie. Sur elle, le mauvais sort ne va pas s'acharner.
Je suis consciente que je peux me tromper mais, pourtant, je distingue tout cela dans une si parfaite clarté, que je me fais peur à moi-même ! Rassure-moi, Freddie, je t'en prie : suis-je un monstre ?
Freddie :
Ma Sabine, non tu n'es pas un monstre. Je suis ravi de vivre avec toi et j'ai la conviction que notre am…our n'a rien d'éphémère, depuis le jour où nos chemins se sont croisés dans mon vignoble bordelais.
Moi aussi, j'ai un sixième sens, que je me suis bien gardé d'étaler au grand jour, mais beaucoup moins développé que le tien ; à côté de toi, je balbutie, c'est comme si j'en étais resté à l'alphabet ! Nous avons trouvé ce moyen pour rendre service aux gens et pour que tu en fasses, à juste titre, ton propre gagne-pain. Il faut avancer prudemment, pour commencer.
Du marc de café, un peu de mise en scène, c'est pas grave, Sabine ! Certains ont besoin de décorum, cela leur sert de bouée dans ce monde de la divination, où sévissent d'ailleurs tant de charlatans. Laissons planer l'ambiguïté : parmi les clients, il y en qui vont venir sans y croire vraiment, tout en voulant y croire !
N'oublie pas que le cours des événements est un enchaînement de petits faits qui peuvent être changés, le libre arbitre existe et les chemins possibles sont toujours au moins deux. Ne dis que l'essentiel, chasse de ton esprit toute vision indésirable et dont la révélation ne pourrait que leur nuire dans le présent. Sens ce qu'ils sont capables de supporter pour aller de l'avant, guide-les !
Sabine, plus détendue :
Que ferais-je sans toi, de mon côté ! Avec toi, j'ai osé ! Curieux qu'en ce qui nous concerne, toi et moi, ce soit le blanc complet. Étrange inégalité : je peux prévoir l'avenir des autres, je ne distingue pas le mien ni le tien !
Freddie, se dirigeant vers le samovar :
Nous disposons de cinq minutes avant 9 h 00, c'est suffisant pour une bonne tasse de thé, hé hé ! Si tu peux lire dans le marc de café, tu n'en es pas moins une buveuse de thé ! Tiens, ma chérie et … à nous deux, à la mienne comme à la tienne (c'est pareil) !
Ce qui est à moi est à toi et vice versa !
Rires et baisers, fin de la scène.
***
Lenaïg, pour le Jeu des Mots ... tion sur facebook.
Mots imposés en gras. Il y avait même, cette fois-ci, deux groupes nominaux ou phrases : "mise en scène (c'est pas grave, Sabine)" et "A la tienne (c'est pareil) ".
Je n'ai pas proposé de mots ; j'ai donc pris la liste au complet. Le personnage de Sabine, cité, s'est naturellement imposé. Le prénom Freddie est un petit clin d'oeil à celui qui, avec Dominique Bar, orchestre le tout.
Illustration :
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